Shapeshifting (as a way not to be perceived)

AI video

2022

Ce projet vidéo tend à conférer à une intelligence artificielle le pouvoir de métamorphoser les corps, notamment à travers une étude vidéographique et iconographique du genre et de la sexualité. De la reprise du portrait monochrome à des images inspirées de films pornographiques modernes, de la réactualisation de tropes picturales typiques de la Renaissance à une imagerie anatomique et médicale, les visuels s’enchaînent et déploient leur intimité en toute liberté. De nouvelles formes génitales émergent tandis que les individus représentés semblent constamment transitionner d’un genre aux autres, explorant avec fluidité le spectre des identités corporelles. Mutations et hybridations déforment et reconstruisent un sexe potentialisé, comme des réponses à l’appel viscéral d’une indétermination fondamentale. L’IA permet de faire varier les représentations que l’on peut avoir des parcours de transition, et de la diversité du corps trans dans des situations aussi intimes que sociales. L’érotisme parfois assez trash de certains visuels ainsi que leur aspect très graphique cherche à développer un effet de no-shaming et de nudité presque trop audacieuse, preuve équivoque d’une volonté de démonstration des modes de vie et de corporalité socialement catégorisés comme étant marginaux. Les déviantx, les dangereuxes, les freaks, les follx prennent éhontément les devants de la scène.

Le propos de Shapeshifting s’articule autour de la pensée de la décorporisation, qui tend à se détacher d’une acception matérialiste du corps pour ne faire qu’esprit. Il donne la parole à une intériorité inspirée d’un vécu personnel et de réflexions intimes sur le rapport au corps, à la déconstruction identitaire et à une conception critique du genre en tant que norme sociale. Il met en lumière le phénomène de réappropriation de soi propre aux individualités transgenres en exposant une subjectivité en souffrance, en quête de sens, en processus introspectif d’assimilation émotionnelle, tout en exposant des possibles qui dépassent le réel.

    Le choix de ne pas chercher à impliquer mon corps dans le travail visuel participe complètement au message véhiculé par Shapeshifting et découle d’un ensemble d’affects véritables qui conditionnent mon rapport au monde et à la corporalité. Déléguer à des modèles d’IA l’exercice de la représentation du corps trans part d’une impossibilité de ma part à rendre visible le mien. La création offre cette possibilité de prise de distance que je cherche à établir entre ma présence corporelle et mon individualité spirituelle, induite tant par la dysphorie que les rapports interpersonnels. L’IA donne corps à nos propos, à nos réalités, à nos expériences. Le texte, bien qu’incarné grâce à un logiciel de voix de synthèse, témoigne d’états intérieurs tantôt brusqués et tantôt revendicateurs. L’absence d’un ton proprement humain entre en conflit avec l’authenticité des émotions exprimées, et produit cette impression d’étrange familiarité avec la voix en question, créant presque une entité artificielle inhérente au médium de la vidéo.

   Le modèle d’IA en question est en libre accès sur Internet, il s’agit d’une version de Stable Diffusion qui permet de générer des vidéos à partir de texte. Ceci dit, un filtre est appliqué à partir de certains mots-clés faisant référence à des éléments considérés comme étant éthiquement problématiques. Ce pare-feu “NSFW” fait donc obstacle à la génération (et à la diffusion) de contenus potentiellement trop graphiques, comme de la sexualité explicite ou encore des visuels brutaux et violents, en affichant un fond noir à la place des images engendrées. C’est grâce à l’ajout d’un script de code permettant de contourner cette censure (compréhensible mais discutable) que de tels visuels ont été produits. Passer outre ces barrières conventionnelles pour exposer ce qui est considéré comme non-conventionnel. Représenter les vraies blessures, les circonstances véritables, et les nouvelles potentialités du genre posthumain.

      Ce travail rend hommage à Nikita, sœur trans de 22 ans que nous avons perdue il y a quelques mois.