Changement de prénom pour les personnes transgenres non-binaires
“Ne suis-je pas assez transgenre pour changer de prénom ?”
2021
2021
Bonjour, je me présente, je suis Ellis.
Cela devrait s’arrêter là dans la présentation de mon identité, mais malheureusement je ne suis pas parvenue à changer officiellement de prénom auprès du service d’état civil. Ainsi pour l’état français je ne suis pas Ellis, Ellis n’existe pas à proprement parler, mes papiers d’identité sont erronés. Et ce pour la seule raison que ces services ne prennent pas en compte le cas de certaines identités transgenres, et c’est précisément ce dont je vais vous parler aujourd’hui.
1. Explication des termes et bases théoriques
Pour commencer, il me parait nécessaire de faire une piqûre de rappel concernant certains termes que je vais employer dans cet article. L’identité de genre d’une personne c’est son genre, ce qu’elle est en terme de genre (parenthèse : dire : “le genre auquel elle s’identifie, le genre qu’elle revendique, le genre qui lui convient…etc” ne représente pas l’intensité de la valeur intrinsèque de l’identité de genre, à savoir tous les comportements et liens affectifs liés à quelque chose d’aussi profondément ancré dans l’identité intime d’une personne). L’expression de genre d’une personne c’est la manière dont cette personne va transmettre l’idée de son genre dans l’espace public grâce à des marqueurs culturels et sociaux d’identification du genre, des vêtements, des voix, des postures, des représentations, des attitudes…, communément le maquillage pour une expression de genre féminine et les cheveux courts pour une expression de genre masculine. Il se trouve que l’identité de genre d’une personne peut ne pas correspondre à son sexe biologique, les personnes dans ce cas sont donc transgenres. Le terme opposé, cisgenre, signifie que le genre de la personne en question est en accord avec son corps. On va dire d’une personne transgenre qu’elle souffre de dysphorie de genre, un état de malaise vis-à-vis de son corps (c’est le terme psychologique employé, dysphorie étant l’antonyme d’euphorie). La dysphorie peut être ressentie de différentes manières, comme lorsque la personne concernée se retrouve confrontée à son propre corps ou encore qu’on la mégenre, ou qu’on se réfère à elle en la nommant par son prénom de naissance.
Maintenant, au sein des personnes transgenres se décline une multitude d’identités transgenres qui vont avoir des définitions et des problématiques différentes, des expressions de genre différentes, des degrés de binarité différents… La binarité c’est la conception individuelle du système de genre comme ayant deux pôles (femme et homme). Certaines personnes transgenres vont donc évoluer sur le spectre binaire en transitionnant du genre masculin au genre féminin ou du genre féminin au genre masculin (quels que soient les “degrés” de transition, je vais y revenir). Cependant d’autres personnes transgenres vont plutôt appartenir à l’échelle de la non-binarité, en évoluant à des degrés divers sur le spectre femme/homme -> dichotomie . Sortir des identités de genre binaires c’est embrasser la possibilité d’une neutralité de genre (encore une fois à degrés variés).
Il y a ensuite un nouveau point à éclaircir, celui de la transition. Tout d’abord chaque personne transgenre entretient un rapport personnel à son corps. La transition ou réassignation de genre, (souvent et abusivement appelée “changement de sexe”) s’établit à plusieurs niveaux : elle est d’abord identitaire lorsque le sujet en question affirmera pour lui cette identité de genre qui est différente de celle qu’on lui a assigné à la naissance (sur critère biologique). Puis elle peut être familiale, sociale, sans pour autant que l’expression de genre de la personne ait changé pour autant. La modification de l’expression de genre peut ne pas survenir. Enfin, une personne transgenre peut choisir de procéder à une transition médicale, qui peut se traduire par une prise d’hormones et/ou des opérations chirurgicales. Cependant, une personne transgenre peut tout à fait choisir de ne pas procéder à des opérations pour x raisons (complications administratives, pressions familiales, sociales, professionnelles, problèmes de santé, manque de financements etc) mais aussi simplement parce qu’elle ne le désire peut-être pas. Non forcément que son corps lui convienne, bien que si tel est le cas, ce serait juste tant mieux pour elle. Mais parce que quand on est non-binaire, il n’y a tout simplement pas de corps biologique qui nous corresponde. La nullification sexuelle ou génitale est une opération chirurgicale qui consiste en une ablation des organes proprement liés à un sexe biologique, mais ce n’est pas forcément une pratique souhaitable. Les personnes non-binaires ne peuvent donc pas entreprendre de procédure de transition médicale déterminée et se doivent donc de choisir des parcours hormonaux ou chirurgicaux plus rares.
Les personnes transgenres ne DOIVENT rien à qui que ce soit (société, cercles sociaux, services de l’état civil…) en dehors d’eux-mêmes, en terme de transidentité. Je m’explique : Le “degré” de transition, ou l’apparence de la personne (dont son expression de genre) lui appartiennent entièrement, quoi qu’elle en fasse et quelle que soit la manière qu’elle a de l’exprimer ou non, mais surtout, sans que cela remette en question la validité ou la légitimité de son identité de genre. Personne d’autre que la personne en question ne peut attester de son identité de genre pour elle-même, mais j'en reparlerais et nous allons pouvoir passer au vif du sujet…
2. Description de la procédure
Un changement de prénom est une procédure qui s’exerce auprès du service de l’état civil afin de modifier un ou plusieurs de ses prénoms de façon officielle, donc reconnue par l’état, et mise en vigueur concrètement sur tous les papiers d’identités ou documents et contrats officiels de la personne concernée. Cette procédure est décrite et réglementée par l’article 60 du code civil et se décline en plusieurs étapes. La première de ces étapes est la constitution d’un dossier de changement de prénom, dossier composé d’un formulaire à remplir, de documents d'identité comme la photocopie de pièces d'identité, de l'acte de naissance datant de moins de trois mois, du livret de famille et de pièces justificatives censées attester de la légitimité de la demande. Ces pièces peuvent être des attestations sur l’honneur de proches de la personne concernée, accompagnées de la photocopie de leurs papiers d’identité, ou encore n’importe quel document prouvant l’utilisation par la personne du prénom qu’elle souhaite adopter officiellement. Puis la personne concernée obtient un rendez-vous (souvent avec un mois au moins d'attente vu l'engorgement des demandes auprès de ce service) avec un officier d'état civil chargé d'orienter la personne, de juger de la pertinence du dossier en question et de bien comprendre les raisons évoquées par le.a demandeur.se. Ce dossier passe ensuite en commission, censée déterminer la légitimité de la demande au travers d'une délibération suivie d'un vote à majorité absolue. La commission se réunit deux fois par mois environ et traite des demandes déposées jusqu'alors. Si la majorité des membres de la commission vote pour, alors le.a demandeur.se reçoit un courrier de l'état civil et peut entamer la suite de la procédure. Le service de l'état civil entre en contact avec la mairie de la commune de naissance de la personne concernée pour produire un document : l'acte de naissance de la personne concernée annexé d'un certificat attestant du changement de prénom et mentionnant évidemment le prénom en question. Il appartiendra alors à la personne concernée de se manifester auprès des différentes administrations et/ou instances publiques ou privées afin de modifier les informations de ses documents d'identité, comptes ou registres à l'aide de ce document. Ça c'est lorsque la commission considère que la demande de la personne concernée est légitime. Passons donc au cas contraire : lorsque les membres de la commission votent contre, le dossier passe automatiquement entre les mains du procureur de la République du tribunal de la commune en question, et c'est lui qui est censé trancher en autorisant le changement de prénom ou en s'y opposant. S'il accepte la demande et que le dossier passe alors la personne concernée peut continuer sa démarche auprès des administrations comme vu plus haut. Sinon, la demande est officiellement refusée, un courrier est envoyé à la personne concernée stipulant les raisons du refus ainsi que la possibilité pour la personne concernée de faire recours. Plusieurs options s'offrent alors au.à la demandeur.se... Iel peut s'iel le souhaite abandonner la procédure et s'adresser à d'autres officiers d'état civil (de sa commune de naissance ou de résidence) afin de recommencer de nouvelles procédures (iel devra néanmoins préciser le.s précédent.s refus ainsi que leurs raisons). Iel peut théoriquement formuler autant de demandes qu'il y a d'officier d'état civil sur le territoire. Sinon iel peut faire recours pour réclamer un réexamen de la demande devant un tribunal, mais dans ce cas la procédure nécessite obligatoirement un avocat et peut durer jusqu'à plusieurs années avant la prise de décision finale, ce qui peut être inconvenant en terme de temps, d'argent et d'énergie.
3. Mon expérience
J'ai personnellement entamé cette procédure de changement de prénom auprès du service d'état civil de ma commune de résidence. Cela fait environ 6 ans que je m'appelle Ellis, ce qui est déjà énorme en soi, l’officière d'état civil m'ayant affirmé que 3 mois d'usage du "nouveau" prénom peuvent suffire à légitimer une demande. Cette officière m'a donc conseillé lors de mon premier rendez-vous le 04 novembre 2019 de fournir autant d'attestations sur l'honneur que possible, de documents prouvant que j’utilise bien mon prénom dans ma vie de tous les jours, comme par exemple des captures d’images des profils de mes comptes sur des réseaux sociaux, avec en nom d’utilisateur, vous l’aurez compris, mon prénom. Ainsi, lors de mon second rendez-vous que j’aie pu prendre fin janvier me semble-t-il (passant donc avec la seconde commission du mois), j’ai présenté un dossier étoffé, constitué finalement du formulaire rempli expliquant la raison de ma demande de changement de prénom (je vais y revenir), les captures d'images de mes profils Facebook et Instagram, et au moins 5 attestations sur l’honneur de personnes de mon entourage en plus de tous les autres documents purement formels. Mon argumentaire pour faire valoir en commission la légitimité de la demande se résumait donc à quelques papiers mentionnant mes explications, celles de mon entourage et l’utilisation de mon prénom dans la sphère numérique. Les attestations proviennent de quatre de mes amis proches et de l’une de mes professeures de classe préparatoire littéraire. Deux de mes amis attestent avoir vécu mon changement de prénom social il y a 5 ans, car ils me connaissaient déjà à cette époque, deux autres, rencontrés il y a deux ans, affirment ne jamais m’avoir connu sous un autre nom que celui que je revendique. Ma professeure représente la totalité de l’équipe pédagogique, qui a modifié mon nom sur ses documents et listes d’appels, et me nomme de la manière dont je le demande depuis mon arrivée dans l’établissement trois ans plus tôt. J’explique dans le formulaire que je suis transgenre (sans avoir précisé ma non-binarité, n’estimant pas les précisions sur mon identité de genre comme étant importantes pour cette demande qui concerne, je me permets de le rappeler, mon prénom) et que mon prénom de naissance, étant un prénom masculin, ne me correspond pas. J’y précise ainsi l’urgence de changer de prénom de manière officielle pour mon intégrité personnelle et ma santé mentale. L’officière d’état civil que j’ai rencontré a été très enthousiaste par rapport à mon dossier, m’affirmant sa légitimité, je me suis senti.e directement compris.e et bien pris.e en charge, en confiance : elle m’a même demandé de lui laisser mon numéro de téléphone afin d’être la première à me prévenir de la réussite de ma demande, dès que la commission l’aurait validée. Ainsi, au bout du second rendez-vous pour présenter mon dossier étais-je remonté.e envers l’administration qui pinaillait et retardait les choses mais j’étais surtout admiratif.ve de la qualité de la prise en charge du dossier, de la compréhension de l’officière, de sa gentillesse et de sa disponibilité. J’étais sûr.e du succès de la procédure, l’officière étant si déterminée, si impliquée, si assurée, mon dossier étant si complet, si fourni, si précis… Malheureusement cela n’a pas été le verdict de l’état civil…
Après quelques semaines d’attente (celles durant lesquelles se déroule la délibération de la commission), le 04 février 2020, je reçois un appel puis un message vocal de cette officière alors que j’étais en cours. J’attends avec impatience la fin du cours afin d’écouter ma messagerie et d’avoir la confirmation de ce que je savais déjà : j’avais changé de prénom ! Je m’apprêtais déjà à le fêter le soir même avec mes amis… Mais non, elle m’annonçait l’opposition de la commission à mon changement de prénom. Je l’ai donc appelée après ma journée de cours et elle m’a dit être désolée, avoir essayé de leur expliquer mais ne pouvant pas altérer le jugement final de la commission ni son vote. J’ai appris à la lecture des textes du code civil qu’il n’a jamais été question de l’étape de la commission dans la description de la procédure officielle, ce qui signifie qu’il s’agit d’une liberté prise par ma commune de résidence, liberté qui me porte aujourd’hui préjudice : lors d’une procédure habituelle seul.e le.a officier.e décide après avoir rencontré le.la demandeur.se de la légitimité de sa demande, ce qui est logique car la personne concernée a donc le loisir de s’expliquer en présentiel pour faire valoir sa demande et son dossier, or, en délivrant cette responsabilité à une commission qui n’a pas forcément toutes les cartes en main, le service d’état civil de ma commune de résidence commet une erreur de procédure qui met en danger le bon déroulement du changement de prénom. Elle m’a aussi expliqué que d’autres réunions se tenaient sur le moment et que la commission allait peut-être revenir sur sa décision par rapport à mon dossier et qu’elle me tiendrait au courant, puis elle m’a rappelé la suite de la procédure, à savoir l’envoi des dossiers refusés au procureur de la république, qui tranche définitivement. C’était la dernière fois que j’ai entendu sa voix (je sais que ça a l’air très dramatique dit comme ça mais c’est bien la vérité). Suite à cette nouvelle j’en attendais beaucoup du procureur et plaçait mes espoirs en lui, mais je me disais que s’il refusait ma demande j’irai le confronter directement pour faire valoir ma légitimité et mon droit de changer de prénom. J’ai reçu une lettre quelques mois plus tard, du service de l’état civil, et je me suis dit que la réponse se trouvait à l’intérieur. Mais non, il s’agissait du courrier de l’état civil m’annonçant le refus de février et la suite de la procédure, en substance ce dont m’avait prévenu l’officière d’état civil directement après la réunion. Le retard de l’administration se faisait simplement ressentir à nouveau.
4. La réponse de l’institution
Maintenant que tous ces préambules et mises en contexte sont établi.e.s, nous allons pouvoir étudier la suite des événements. Le 18 mai 2020 (donc environ sept mois après mon premier rendez-vous à l’état civil), je reçois à mon domicile une lettre du service de l’état civil. Je vais vous laisser la parcourir puis nous allons procéder à une petite analyse de ses arguments, de leur intérêt, de leur pertinence avant de réfléchir à ce que l’on pourrait envisager pour la suite. Pour commencer, même si évidemment il est encore trop tôt pour s’opposer à cette pratique, la précision de la “civilité” (je n’ai personnellement jamais compris l’utilisation de ce terme dans un contexte tel) en tête de lettre, “Monsieur”, est à bannir, d’autant plus dans le cadre d’un changement de prénom, donc dans un cadre qui revendique cette subversion du genre. Cela ne fait qu’asséner et donc entériner la mention erronée d’une fausse identité de genre auprès d’une personne dysphorique, c’est donc blessant voire irrespectueux, mais ce n’est pas le sujet de ce texte. Selon cette lettre, ma demande ne serait donc pas légitime au sens de l’article 60 du code civil. Je vais donc m’enquérir des raisons qui rendent ma demande illégitime selon ces critères. Préparez-vous car rien ne va dans le paragraphe suivant.
Premièrement : “aucun élément du dossier de nous permet d’établir que vous êtes considéré par votre entourage comme présentant des caractéristiques du sexe revendiqué”. Dois-je rappeler que le sujet de la demande est un changement de prénom et non une réassignation de genre sur les documents d’identité ? Je ne demande pas à ce que mon entourage, au travers des attestations sur l’honneur, décrive parfaitement ce en quoi je ne suis pas un garçon, concentrant efficacement ma demande sur l’aspect du prénom, comme supposé. Ensuite, je ne comprends pas l’emploi du terme “sexe”, terme problématique au possible, étant donné qu’un sexe fait référence à un corps, c’est un terme biologique qui permet justement de différencier le genre corporel du genre en soi de la personne concernée. Cela montre que les personnes chargées d’établir ces lettres ne sont pas au courant des subtilités sémantiques importantes qui régissent l’administration et donc la reconnaissance étatique de nos identités trans. De plus, tout comme la précision “Monsieur”, c’est une maladresse qui ne devrait pas exister lors de la gestion de demandes liées à de telles problématiques. De plus, je voudrais bien savoir quel sexe j’ai revendiqué dans le formulaire explicatif. Je suis transgenre non-binaire, ce qui signifie précisément que la seule revendication que je détermine en terme de genre c’est son absence chez moi, je ne vois donc pas comment j’ai pu en revendiquer un. Enfin, j’aimerais bien que l’on m’explique ce qui en soi correspond à ces “caractéristiques du sexe revendiqué”. Qu’est-ce que, si l’on tente de comprendre ces propos, l’état civil cherche dans ces attestations sur l’honneur de l’entourage ? Que mes proches affirment que j’emploie des postures féminines ? Que je porte des jupes au quotidien ? Que toustes me considèrent comme une vraie femme ? Alors que, je le rappelle une nouvelle fois, l’objet de ma demande concerne la légitimité d’un prénom, et non d’une identité de genre. Je n’ai pas à prouver mon genre à l’état civil, simplement leur faire comprendre qu’il s’agit de l’élément qui me pousse à demander un changement de prénom. Je ne comprends pas du tout cette recherche de caractéristiques, de critères supposés de genre, de la part de l’institution. Je me permet donc, d’après cette analyse, d’invalider ce premier élément de réponse censé légitimer le refus de l’état civil de ma demande de changement de prénom.
Passons à la phrase suivante, qui est, à mon sens, la plus scandaleuse de la lettre. “De même aucun élément ne permet d’établir que votre apparence physique correspond à celle du sexe revendiqué”. Je ne reviendrais pas sur l’expression “sexe revendiqué”, je viens d’expliquer l’inanité de son emploi, et elle permettrait à elle seule d’invalider toute la phrase, c’est d’ailleurs ce qu’elle fait étant donné que l’argument se repose encore une fois sur cette notion entièrement erronée. Mais ensuite, en quoi mon apparence physique fait-elle partie des critères permettant de juger de la légitimité que je peux avoir de porter mon prénom ? À quoi suis-je censé.e ressembler afin d’en être légitime ? Et sur quels critères se basent-ils ? M’ont-ils seulement déjà vus ? J’ai réfléchi aux captures d’écran des profils de mes réseaux sociaux, Facebook et Instagram, cherchant à jouer leur jeu, je ne vois pas où ailleurs la commission ainsi que le procureur de la république aient pu voir mon apparence physique. Mes photos de profil sur ces réseaux, à l’époque où j’ai transmis le dossier, montrent une personne arborant du maquillage, comme sur la plupart des photos de moi que je poste sur les réseaux sociaux depuis maintenant au moins quatre ans. Je ne peux pas dire non plus que mon style vestimentaire soit particulièrement masculin (même si je suis la.e premier.e à revendiquer l’absence de genre attribué à des bouts de tissu ou à des pigments sur le visage, nous dirons donc "socialement masculin”). Ainsi, qu’ils se réfèrent uniquement aux photos présentes sur les captures d’écran, ou encore qu’ils aient été fouiller sur mes profils Facebook et Instagram, dans les deux cas le résultat est le même : je porte du maquillage, élément socialement féminin. Cela ne correspond donc pas avec leur volonté de prouver que mon apparence physique n’est pas féminine (selon leur volonté encore de faire de moi une femme, avec leur évident “sexe revendiqué”). L’état civil se contredit alors, en plus d’invoquer des motifs extrêmement douteux pour légitimer un changement de prénom, comme l’apparence physique. Peut-être leur critère pour juger de la féminité d’une personne se situe dans la longueur de ses cheveux, car effectivement je porte des cheveux courts en ce moment. Il s’agit du seul marqueur socialement masculin qui est visible sur ces photos. Cela veut dire que les femmes qui portent des cheveux courts ne sont pas des femmes ? Vous comprenez l’absurdité de cette conception des choses… Cette phrase a plusieurs niveaux de lecture et précise de manière effrayante la façon que l’état civil a de considérer les individus qui constituent la société française. Doit-on ressembler à un homme pour en être un ? Avoir des “caractéristiques” et une “apparence physique” de femme pour en être une ? Parlent-ils des marqueurs de genre ? Je ne pense pas que l’état soit aussi catégorique dans sa façon de voir les choses, cependant c’est ce que nous démontre l’utilisation de tels termes et l’invocation de tels arguments, au sein de procédures civiles, il en est de la façon dont l’état et ses services impactent les individus, réellement, factuellement, et cette réalité est problématique. Et qu’en est-il des personnes comme moi, des non-binaires ? Doit-on absolument avoir une expression de genre neutre et androgyne, comme si c’était quelque chose de facile, et selon quels critères énoncés par qui ? Estiment-ils qu’une personne transgenre se doit d’avoir une expression de genre correspondant à son genre ? Ne laissent-ils aucune liberté sociale, corporelle et personnelle en plus de ces faux arguments empêchant des personnes d’acquérir un prénom qui leur correspond ? Toujours selon eux et en fonctionnant selon leur logique, suis-je censé.e plus ressembler à une femme afin de légitimer ma demande ? Ne suis-je pas assez transgenre pour changer de prénom ? Pour l’anecdote transphobe en lien avec l’apparence physique, une femme transgenre présente en manifestation dans la même commune que la mienne nous a confié qu’à son premier rendez-vous à l’état civil pour entamer la procédure de changement de prénom, l’officier d’état civil en charge de son dossier lui avait dit qu’il ne lui servait à rien d’entamer la procédure parce qu’il ne voyait pas une femme devant lui. Et qu’en est-il de toutes les personnes transgenres qui ne souhaitent ni ne peuvent entamer d’opérations ou présenter d’expression de genre différente de leur corps biologique ? Le problème qui va se poser à elleux est le même que pour les personnes non-binaires au sein de la procédure. Iels ne seront pas considéré.e.s par le service comme appartenant à leur genre, et donc auront une grande propension à se voir refuser d’entamer la procédure d’office. Ainsi peut-on également déconstruire la fausse légitimité de ce second argument basé sur une supposée apparence physique nécessaire à la légitimité d’une telle demande.
La phrase suivante, la dernière du paragraphe, stipule : “Enfin, le prénom que vous souhaitez porter, ainsi que la conservation de vos anciens prénoms de genre masculin, ne sont pas en adéquation avec le sexe revendiqué”. Le prénom en question, que l’on s’entende bien, c’est Ellis, E-L-L-I-S. Il s’agit d’un prénom neutre que j’ai choisi pour plusieurs raisons, dont justement le fait qu’il est neutre. Toutes les sources sur lesquelles j’ai pu faire des recherches par rapport au genre de ce prénom énoncent sa neutralité, une simple recherche sur Internet permet de s’en rendre compte. Des femmes et des hommes ont été nommé.e.s Ellis sans réelle distinction. J’ai trouvé ce prénom dans un film, dans lequel un personnage masculin le porte, j’ai vérifié la neutralité du prénom et je l’ai ensuite adopté complètement, sans me poser la question plus que cela. Cette lettre m’a fait douter sur la neutralité (et donc la légitimité officielle entendue comme provenant d’une instance étatique) de mon prénom. Je ne trouve pas grave le fait éventuel d’opter pour un prénom qui n’est pas neutre lorsque l’on est une personne transgenre non-binaire, je pense qu’une personne non-binaire doit être en mesure de choisir un prénom qui lui convient, quel qu’il soit, tant qu’il lui permet d’échapper à la dysphorie de genre ressentie par l’emploi (et la détermination) de son prénom de naissance. J’ai donc refait des recherches pour réaliser avec soulagement que mon prénom était effectivement neutre. Quel texte précise que le prénom “Ellis” est un prénom masculin ? Quelles sont les sources sur lesquelles se repose l’état civil ? À moins que, pour en revenir aux problèmes précédents, ils aient considéré qu’un prénom neutre ne peut pas convenir à une femme, étant donné, à ce que nous avons compris ensemble, que l’état civil estime que je me revendique en tant que femme. Le fait d’être une femme empêcherait donc l’emploi d’un prénom neutre ? En ce cas, cette phrase reste problématique dans le sens ou le concept même du prénom neutre est qu’il peut être utilisé par des femmes et par des hommes sans détermination, et en faire une (qui provoquerait en plus une forme de discrimination) est tout sauf logique. Je rajouterais que le choix d’un prénom est une décision intime et déjà profondément marquante vis-à-vis de soi-même, il s’agit de trouver un prénom qui nous incarne suffisamment pour qu’on s’y sente en accord avec nous-même et qu’on décide de l’adopter dans la sphère publique en plus de tenter d’éloigner la dysphorie. La suite de la phrase évoque le choix de garder mes trois autres prénoms ainsi que mon prénom de naissance (des prénoms masculins) en second, troisième, quatrième et cinquième prénoms. Selon cette lettre ce choix porte atteinte à la légitimité de ma demande car le fait de conserver des prénoms masculins entre en opposition au fait que je revendique une identité féminine. Or, encore une fois il s’agit d’une décision personnelle qui n’engage que moi, pour des raisons multiples qui ne concernent en rien ni le service d’état civil ni personne d’autre que moi. De plus, je connais beaucoup d’hommes ayant des second, ou troisième… prénoms féminins et inversement, sans que cela soit un problème vis-à-vis ni de leur état civil, ni de leur statut social, ni de leur intégrité personnelle. Des parents ayant réfléchi à des prénoms masculins et féminins pour leur enfant dont le genre restait indéterminé jusqu’à la naissance peuvent très bien choisir d’inscrire en second ou troisième prénom un nom qu'ils appréciaient, qui n’est pas en accord avec le genre de l’enfant mais reste important pour eux. Ainsi, je peux choisir tout à fait légitimement de conserver des prénoms qui ne seraient pas en accord avec mon identité de genre en deuxième ou troisième prénoms etc, surtout s’il s’agit de garder ceux que j’ai déjà. Je ne comptais que rajouter un prénom devant les autres en somme, que je souhaitais en partie garder par égard pour ma famille, et je me vois refuser ma demande pour cette raison ? Je ne comprends pas le fondement de cet argument, que je trouve contradictoire et en opposition avec lui-même. De fait si “Ellis" est un prénom neutre il convient tant à une personne de genre masculin qu’à une personne de genre féminin, cisgenre ou transgenre, ainsi qu’à une personne transgenre non-binaire. Il ne peut donc pas ne pas correspondre à un quelconque “sexe revendiqué” étant donné qu’il correspond à tous les genres. Quant aux second, troisième, quatrième et cinquième prénoms, étant donné qu’ils n’ont pas d’incidence directe sur la vie de la personne concernée vu qu’ils n’existent qu’à titre indicatif (parfois afin de dissiper des doutes quant à l’identité de la personne si son nom et son prénom sont très communs) et qu’ils ne sont généralement qu’extrêmement peu utilisés, je ne vois pas en quoi ils auraient une telle importance maintenant, au sein de ce genre de procédures. Ainsi cette troisième phrase recèle également d’arguments non recevables.
La dernière phrase à propos de laquelle j’aimerais émettre un commentaire est la suivante : “ainsi en l’état, votre demande s’apparente à une demande de pure convenance personnelle et ne revêt pas un intérêt légitime”. Cette conclusion, tout de même très violente comme nous allons le voir un peu plus tard dans l’article, est également très radicale, et ne permet aucune remise en question de la décision du procureur de la République, décision hâtive, abusive et illogique comme on l’a vu dans la précédente analyse. Le refus de l’intérêt légitime est le terme juridique permettant à l’état civil d’invalider la demande, mais il est à mon sens erroné car je suis bel et bien une personne transgenre, le simple fait de le dire rend cette phrase performative et fait de moi une personne transgenre, cela devrait suffire comme justificatif pour être considéré comme étant légitime à changer de prénom (c’est le principe de l’autodétermination). Ma demande ne s’apparente pas à une demande de pure convenance personnelle non plus, ce n’est pas une question de convenance ou de préférence, je ne fais pas un caprice futile, je me bats pour mon identité, et, au travers de mon combat, pour l’identité de toutes les personnes transgenres désirant changer officiellement leur prénom. La convenance personnelle, selon les textes du code civil, est une notion extrêmement (trop) vague, ayant comme seul critère de définition “fondée sur la seule volonté individuelle du demandeur” :
Quelle demande ne serait pas basée sur la volonté du.de la demandeur.se ? La volonté est la première des motivations qui engendre une demande de ce type. L’emploi d’une telle formule permet à l’état civil d’invalider n’importe quelle demande sans autre forme de précision au niveau des raisons du refus. Toutes les demandes correspondant de près ou de loin à un désir, une volonté du.de la demandeur.se, sont toutes passibles d’être jugées illégitimes par rapport à ce premier “élément permettant de démontrer l’absence de légitimé du motif invoqué à l’appui de mal demande de changement de prénom”. Bon. Passons maintenant du côté de l’intérêt légitime afin de comparer les intérêts légitimes les plus retenus à ma demande individuelle. Voici le tableau qui classe les divers motifs d’intérêt légitime à changer de prénom selon l’annexe 2 du bulletin officiel du ministère de la justice, Circulaire du 17 février 2017 de présentation de l’article 56, I de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, les textes de loi qui régissent dans le code civil les conditions et procédures du changement de prénom :
Il me semble, à la lecture de ces lignes, que le seul fait d’utiliser un prénom différent de son prénom de naissance est un motif qui relève d’un intérêt légitime, sous couvert de preuves (les attestations sur l’honneur des proches par exemple). Or, mon dossier comprenant cinq attestations sur l’honneur de mes amis et professeurs établissant mon usage du prénom “Ellis” depuis de cinq à deux ans selon les personnes, en plus des captures d’écran de mes profils de réseaux sociaux, il permettait totalement de prouver cette utilisation de mon prénom sur une durée prolongée, ce qui est donc le premier “élément aidant à l’appréciation de la légitimité du motif invoqué à l’appui de la demande de changement de prénom”. Ce fait entre donc directement en contradiction avec la détermination du refus de ma demande. Cette conclusion en elle-même est erronée par rapport à l’adéquation de ma demande aux textes de loi régissant la procédure de cette même demande. De plus, mais nous nous attarderons là-dessus un peu plus tard dans le texte, cela signifie que les critères de décision de l’état civil et du procureur de la république peuvent passer outre les intérêts légitimes du.de la demandeur.se et s’attarder sur d’autres aspects de l’identité du.de la demandeur.se afin d’invalider la demande pour d’autres raisons.
Un autre élément relevant d’un intérêt légitime pour l’état civil est le suivant :
Ce que les textes nomment “transsexualité”, terme pathologisant et archaïque ainsi que problématique car se référant à une morphologie sexuelle, ce qui va a l’encontre du concept de genre, qui lui se définit comme relevant d’un aspect psychique ou émotionnel sans être sexuel, signifie simplement “transidentité”. Ainsi, le fait d’être une personne transgenre est officiellement un motif légitime de changement de prénom, indépendamment d’une procédure de réassignation de genre (qu’elle soit d’ordre administratif ou bien chirurgical, le texte ne le précisant pas, autant qu’il entende les différents cas de réassignation).
Pourquoi donc, dans ce cas, me suis-je vu.e refuser ma demande, sachant que je suis transgenre et que j’emploie mon prénom depuis maintenant plus de six années ? Si les motifs et éléments des textes officiels du code civil permettant d’attester la légitimité de ma demande correspondent autant avec les pièces fournies dans mon dossier, alors pourquoi un argument aussi vague qu’inconsistant tel que “cette demande est illégitime car elle provient de la volonté du.de la demandeur.se" suffit-il à balayer les réels enjeux de la demande, à savoir mon intégrité personnelle, ma santé mentale, la transphobie (ordinaire ou non) institutionnelle, la reconnaissance étatique de mon identité comme étant valable, les conditions actuelles des droits trans et LGBTQ+ en général, à partir de cas isolés comme le mien… Une inversion des valeurs est-elle imaginable, au sein de laquelle l’institution croit la personne concernée (sans les formalités bureaucratiques aujourd’hui nécessaires) et l’accompagne dans son périple vers une identité qui lui correspond, au lieu d’utiliser de faux arguments contre elle, qui vont porter atteinte à l’accès à cette identité officielle ainsi qu’à son intégrité individuelle ?
Mon sentiment est qu’ayant employé le terme “transgenre” dans mes explications sur le formulaire du dossier, et ayant ensuite détaillé que mon prénom masculin était source pour moi de dysphorie de genre, la commission ainsi que le procureur de la république se soient directement fourvoyé en pensant que j’étais une femme, et que je me revendiquait comme telle. Telle a été ma première lecture des propos de la lettre. J’avais donc l’impression que mon dossier avait été sujet à une erreur de jugement de la part de la commission et du procureur de la république en raison de leur ignorance des subtilités de nos identité trans. Il s’agissait donc pour moi d’une simple faute, explicable par le seul fait que les textes de loi ne font aucune mention d’une quelconque neutralité ou non-binarité de genre et ne permettent donc pas l’émergence de procédures adaptées à ces cas-ci. Ainsi, lorsqu’ils sont face au dossier d’une personne transgenre non-binaire vont-ils chercher directement à le.la rallier à une autre identité, plus simple pour eux à gérer car dont les procédures sont déjà encadrées et mises en place. Mais ce n’est pas tout : si encore ils s’étaient trompés sur mon identité mais avaient par la suite accepté le changement, cela aurait signifié que leur maladresse, bien que présente, n’occultait pas une certaine compréhension de nos problématiques, notamment la question, relativement accessible à mon sens, du changement de prénom (à savoir : une personne change de prénom). Or, leur décision montre bien à quel point ils ont une réelle propension à refuser de comprendre correctement les cas qui leur échappent, quitte à les contraindre totalement au travers de ces démarches abusives.
Suite à cette analyse et à ces comparaisons entre les textes du code civil et mon dossier, la lettre de l’état civil me semble illégitime, contradictoire et problématique. Des arguments fallacieux sont basés sur des contre-vérités issues d’une incompréhension des problématiques liées à mon cas et d’une absence de volonté de mieux les comprendre afin d’y répondre de manière plus adéquate, contre-vérités qui détournent les enjeux de la demande au profit de faits erronés dont l’emploi est abusif voire disproportionné et surtout dont la valeur est clairement discutable.
* * *
La dernière fois que j’ai écrit sur ce projet de texte, c’était le 19 octobre 2020 (la rédaction ayant commencé officiellement le 21 juillet 2020). Nous sommes aujourd’hui le 9 juillet 2021, et j’ai cru bon de me lancer au printemps 2021 dans une seconde démarche de changement de prénom. De fait, étant donné que je juge illégitime la décision définitive du Procureur de la République de ma ville de résidence de 2019-2020, je considère leurs retours irrecevables et estime que cette première démarche est close. Il se trouve que j’ai déménagé vers la capitale entretemps, y fournissant notamment un espoir en ce qui concerne ma demande. Des circonstances personnelles particulières m’ont tenues éloigné.e en terme de disponibilité intellectuelle et émotionnelle de la procédure pendant l’année, et ce n’est qu’en mai 2021 que je dépose le dossier de ma seconde demande.
Me rappelant qu’à mon sens, le premier refus que j’ai essuyé s’expliquait par une incompréhension des circonstances relatives à ma demande, j’ai décidé de mieux motiver la seconde. Sur le formulaire à remplir figure la proposition de s’exprimer sur une feuille libre en plus des lignes prévues à cet effet. J’ai donc rempli toutes ces lignes et la totalité d’une page en plus. J’avais comme objectif d’être la.e plus clair.e possible pour éviter toute ambiguïté. Je me suis donc trouvé.e à rappeler le contexte du refus de ma première demande, à expliquer ces incompréhensions voire à critiquer, de manière un peu ferme, la décision rendue. J’expliquai ensuite avoir étudié les textes de loi et analysé le refus, le jugeant illégitime, et tentai de faire comprendre aux officier.e.s d’état civil à quel point cette démarche m’était nécessaire et surtout ce que je savais : qu’une personne utilisant un autre vocable que son prénom de naissance en guise de prénom depuis une certaine durée est considérée comme un.e demandeur.se légitime. J’ai également pris soin de m’excuser de la longueur du texte de motivation, précisant que je ne désirais pas que ma demande soit incomprise une nouvelle fois et donc refusée. Toutefois, j’ai trouvé cette motivation un peu trop virulente et un peu trop longue, j’ai donc décidé de remplir un nouveau formulaire plus simplement, avec les informations et motifs nécessaires (ma transidentité et la longueur d’emploi du prénom “Ellis”). Je me suis même demandé si parler de la longueur de l’emploi ne suffisait pas. Ce n’est pas l’entière vérité, car le motif principal reste sans doute la dysphorie de genre, mais je me suis quand même demandé si dans ce cas, il valait mieux rester véridique quoi qu’il en coute, et que c’est ce qui paiera, ou bien se soumettre un tant soit peu aux attentes des instances responsables ; pour faire simple, devais-je ne pas évoquer la transidentité en tant que motif pour avoir plus de chances que la demande soit acceptée par une institution présumée transphobe - que ce soit de la transphobie volontaire (tout mettre en œuvre pour empêcher les personnes trans d’acquérir leurs droits) ou non (ne pas comprendre les motifs et les contextes trans). J’ai choisi comme d’habitude la voie la plus naïve, insouciante et risquée : celle de la vérité. J’ai encore une fois expliqué que oui j’étais transgenre, et que oui j’étais non-binaire, car je cherchais un prénom neutre etc. J’ai choisi de rester fidèle à moi-même, au sein d’une bataille noble dans laquelle je me bats ouvertement pour mon prénom, sans honte ni dissimulation, sans manigance pour obtenir vite ce que je recherche. Non, je souhaite obtenir ce que je recherche en tant que personne ouvertement transgenre et non-binaire. Je le fais pour mon intégrité personnelle, pour l’obtention de droits trans dans un contexte officiel, administratif, objectif, statistique, ce qui aura fondamentalement une conséquence pour la communauté. On construit un mur brique après brique. Chaque personne trans qui obtient son changement de prénom à l’état civil construit un peu plus le piédestal de l’existence, de la reconnaissance, de la validation des identités trans.
Les autres éléments de ce second dossier sont des documents administratifs (livret de famille, pièces d’identité, acte de naissance, attestation de logement…), des attestations sur l’honneur de témoignages de proches et d’un membre de mon équipe pédagogique de l’année 2020-2021, ainsi qu’une multitude de documents prouvant mon utilisation du prénom “Ellis” sur des documents universitaires (copies, mails), sur des cartes personnelles, sur tous les comptes liés à mon identité numérique, ainsi qu’une demande d’analyse de mes taux d’hormones en prévision du début d’une transition hormonale. Je comptais également fournir un extrait de l’annexe 2 du bulletin officiel du ministère de la justice, Circulaire du 17 février 2017 de présentation de l’article 56, I de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, montrant que j’étais bien au courant du premier motif d’intérêt légitime de changement de prénom, mais on m’a demandé de récupérer ce document, qu’il n’était pas nécessaire dans le dossier. Ainsi, courant mai 2021, je dépose ce dossier complet à la Mairie du Ve arrondissement de Paris. Je me pense enfin sorti.e d’affaire, confiant.e, me pensant à l’abri de la transphobie institutionnelle au cœur de la capitale, pensant qu’ici les administrations ont l’habitude de cas comme le mien, que l’officier.e d’état civil plaidera en faveur de ma demande légitime. Nouvelle ville, nouveau prénom. Je me trompais.
J’ai reçu une première lettre de refus de la part de la Mairie du Ve arrondissement, semblable a l’année précédente (bien que les délais aient été très rapide ici) : on m’explique que ma demande sera transmise au.à la Procureur.e de la République du Tribunal de Paris afin qu’iel tranche. Hier, le 08 juillet 2021, je me rend à l’office postal pour récupérer une lettre en recommandé. Lettre du Tribunal de Paris. Je l’ouvre, m’attendant au pire mais craignant le meilleur. Je pensais que ce dossier pouvait enfin se clore après un an et demi des tribulations administratives et qu’après 6 ans d’emploi informel et officieux de mon prénom, il soit officialisé.
La lettre estime que ma seconde demande ne peut être analysée comme telle en vue du premier refus lors de ma démarche auprès de l’État Civil de Toulouse. Apparemment, la procédure voudrait que l’étape suivante dans mon parcours est un recours contentieux auprès du Juge aux affaires familiales du Tribunal de Toulouse, qu’il me faut saisir en présence d’un avocat. Ainsi, selon cette lettre, où que je sois en France, je ne peux pas renouveler ma demande de changement de prénom : je dois donner suite à la première démarche que j’ai entrepris. Bon. Je décide d’aller au plus vite demander des comptes au service d’état civil de la Mairie du Ve arrondissement. J’y suis dès le lendemain, cherchant des réponses, menant mon argumentaire, exigeant des explications, des solutions. On m’apprend que la première décision rendue pour ma seconde demande (un doute émis quant à la légitimité de ma demande par décision collégiale, et donc une transmission du dossier au Tribunal de Paris) n’est pas réellement un refus. Évidemment le service ne peut rien faire, ils n’en ont pas l’autorité, et quoi que je fasse comme demande, je serai toujours renvoyé.e à cette procédure de recours. Selon le service, je peux/dois m’adresser directement aux tribunaux de Toulouse ou de Paris. À l’accueil, je peux demander le contact de médiateur.ice.s ou de consultant.e.s juridiques qui pourraient m’aiguiller. Évidemment iels sont toustes en congé et ne reprennent qu’en septembre. On me donne gentiment un fascicule avec les numéros des bureaux juridiques de la capitale.
Que faire maintenant ? Je me sens dans un réel dédale administratif. Je n’ai pas d’argent à mettre dans le suivi de mon affaire par un.e avocat.e et j’estime même que les juges aux affaires familiales ont sans doute des cas plus importants à traiter que le mien, qui tient au bon vouloir du comité d’état civil (toujours pas mentionné dans les textes de loi encadrant juridiquement la procédure officielle de changement de prénom).
Que le procureur tranche par un refus ma seconde demande, je m’y attendais, j’étais simplement curieusæ d’entendre leurs arguments cette fois-ci. Mais ça ? Je ne me lancerai pas dans une étude littéraire de cette seconde lettre, vous la trouverez en annexe 2. Cela ne servirait à rien car il n’y a pas de commentaire, d’appréciation de la part de l’institution. Il y a un rappel mécanique au bon déroulement de la procédure. Cependant, à ce que j’avais compris, la.e demandeur.se peut s’iel le souhaite, saisir le juge aux affaires familiales pour établir un recours contentieux et exprimer une contestation du refus. Je viens de vérifier dans le bulletin officiel du ministère de la justice, Circulaire du 17 février 2017 de présentation de l’article 56, I de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui effectivement mentionne la possibilité de ce recours.
J’ai personnellement estimé que ma première demande était terminée, ayant accepté le refus du procureur. Je déménage et entame donc, auprès d’une nouvelle autorité administrative locale, une seconde démarche. Or, je ne peux actuellement continuer à me battre avec le tribunal de Toulouse, qui n’est ni ma ville de naissance ni ma ville de résidence actuelle. Pour autant, on me demande de m’adresser aux juges aux affaires familiales du tribunal de Toulouse pour donner suite à ma première demande, comme si cette saisine était une étape obligatoire d’une procédure de changement de prénom, ce qui n’est officiellement pas le cas.
Mes solutions actuelles sont donc de l’ordre du coup de force, à savoir contacter des associations pour les droits des personnes trans spécialisées dans ce type de procédures et qui pourraient m’apporter les compétences juridiques et l’aplomb politique nécessaire. Il y a également un contact sur la circulaire relative au changement de prénom, à prévenir en cas de difficulté, que je m’apprête donc à contacter. Enfin, le présent article détaillant et documentant mon parcours administratif et analysant les retours institutionnels sera envoyé à divers journaux, associations militantes et médias indépendants pour espérer une résonance et un soutien médiatique et populaire. Comme une bouteille à la mer.
5. Les conséquences psychologiques et émotionnelles pour la personne concernée
Le premier aspect problématique de ce type de réponse officielle pour ce type de procédure qui me vienne à l’esprit est la réception de ce refus par la personne transgenre dont il est question. De fait, une personne transgenre est déjà censée être capable de produire un énorme travail de déconstruction de l’éducation genrée qu’elle a reçu, de découverte puis d’affirmation de sa réelle identité, de transition à tous les niveaux ; c’est donc un processus lent et éprouvant qui demande beaucoup d’effort, de réflexion, d’investissement personnel voire d’argent pour les “subtilités” liées à l’expression de genre ou d’engagement politique pour les plus activistes. Tout cela représente une énergie assez conséquente que la personne concernée doit trouver en elle-même (même dans les cas où elle serait bien entourée et accompagnée), énergie déjà considérable en fonction des situations, pour qu’en plus la personne concernée ait à gérer la dysphorie de genre, à laquelle elle est confronté.e au quotidien. La dysphorie prend des formes et des proportions extrêmement variables, et pourtant iel le fait, et prend sur ellui tous les jours, apprend à se protéger des regards, des remarques, des agressions en tous genre, provenant de son cercle familial, amical, professionnel, voire d’inconnus dans la rue, ces attaques qui vont relever de la transphobie.
Cependant, la transphobie peut être ressentie de manière extrêmement violente car au-delà d’être un appel à la haine, ce qui est déjà très violent, elle peut aussi prendre une forme plus insidieuse : celle du déni de l’identité. De fait, certaines personnes sont transphobes sans le vouloir, ce qu’on appelle la transphobie ordinaire, ou intégrée. Ces personnes sont transphobes parce qu’elles sont ignorantes des problématiques traversées par les personnes concernées, qu’elles ne comprennent pas les subtilités ni les besoins de ces identités ; elles peuvent donc se montrer maladroites voire dérangeantes envers des personnes transgenres mais sans forcément vouloir mal agir.
Enfin, il y a ce qu’on appelle la transphobie institutionnelle, dont nous tenterons dans la prochaine partie d’étudier les mécanismes et les conditions. Ici nous nous contenterons d’en expliquer les conséquences et retombées sur la personne. En fait, ce que font l’État et les services d’état civil en refusant une demande de changement de prénom à une personne transgenre, c’est remettre en question son identité-même. Parfois, c’est involontaire, on parlera alors de transphobie intégrée, les institutions et bureaux ne se rendent pas compte de l’impact de leurs décisions et expressions pour les personnes concernées. Parfois, il peut s’agir de malveillance dirigée vers la communauté, mue par des idéologies répressives. On ne pourra jamais réellement déterminer le pourcentage de transphobie intégrée et de malveillance directe dans des décisions ou expressions problématiques de la part des institutions. Je fais le choix pour le moment d’estimer qu’il s’agit d’ignorance et non de malveillance. Toujours est-il qu’il ne s’agit pas d’un simple refus comme à la suite d’un entretien d’embauche, d’une demande de prêt à la banque ou d’une candidature quelconque. Si ces refus mettent en cause la motivation et la légitimité du.de la demandeur.se, il n’est pas question de leur identité, de leur individualité en tant que personne, en tant qu’être construit, et qui plus est construit dans des circonstances souvent (statistiquement) complexes et douloureuses. Alors pourquoi faut-il que de simples décisions administratives remettent en cause et en question de tels parcours personnels déjà caractérisés par leur lot de violences, de rejets et d’incertitudes ? Cette facilité à douter de l’intérêt légitime du changement de prénom d’un.e demandeur.se transgenre témoigne d’un manque de volonté de la part de l’institution de comprendre nos identités et de s’adapter à nos problèmes et demandes aussi valables que légitimes. Par ailleurs, y a-t-il seulement des personnes formées et habilitées à traiter des demandes provenant de personnes transgenres dans les différents services d’état civil ? Si oui, par quels critères jugent-ils de cette sacro-sainte légitimité ? Il n’en sont fondamentalement pas capables, la preuve en est leur réponse à ma première demande, qui passe complètement à côté de mes motifs d’explications et donc de la légitimité de ma demande. Cette expérience de savoir qu’une démarche adaptée à nos besoins existe mais de s’en sentir inéligible, illégitime à cause de décisions administratives abusives et erronées représente une frustration non négligeable. Aujourd’hui en France des textes de loi encadrent bel et bien ces procédures. Simplement, dans la réalité des faits, nous ne sommes ni entendu.e.s, ni compris.e.s, ni soutenu.e.s par l’institution dépositaire de l’autorité qui nous permettrait de mieux correspondre à notre identité.
Enfin, il est une spécificité à mon cas dont je voulais également parler même si elle n’est plus exactement de la même actualité qu’il y a un an pour moi. Il s’agit de la question des personnes transgenres non-médicalisées (au-delà de la question des personnes non-binaires). Aujourd’hui, la notion de transidentité est assimilée par la plupart des gens en France ; j’entends par là que les gens conçoivent l’idée, en mettant de côté leur appréciation personnelle (positive, neutre ou négative). Cependant, pour eux, et donc a fortiori pour l’institution, un parcours transgenre est établi, déterminé, inamovible (ce qui a mon sens dénote d’une remarquable ironie, la mobilité et la subversion étant au cœur des considérations trans). De fait, selon eux, une personne assignée homme à la naissance, si elle est transgenre, sera nécessairement une femme après sa transition, et inversement. Cela ancre tout d’abord la transidentité dans une binarité et une hétéronormativité illusoires, ce qui est un premier faux pas dans la compréhension de nos identités, mais cela établit aussi une seconde erreur majeure dans la conception de la transidentité : cette vision induit un “parcours-type” de transition, entendu comme : la personne en question fait son coming-out transgenre, modifie son expression de genre en relation avec son genre “de destination”, modifie sa mention de sexe et son prénom à l’état civil, débute une transition hormonale puis subit des opérations chirurgicales afin de correspondre à son genre. Je pense que si l’on parvient à justifier de toutes ces étapes auprès de l’institution administrative, on ne rencontre aucun problème de légitimité de la demande. Parce que c’est à cela que ressemble le parcours initial de transition d’un genre à l’autre. Mais qu’en est-il de toutes les personnes qui soit sont non-binaires, et donc vont devoir se forger un parcours de transition propre, et donc différent de ce que la pensée cishétéronormative dépositaire d’une forme d’autorité conçoit généralement ; ou de celles qui sont transgenres binaires mais sont à l’aise avec leur corps, ou ne veulent ou ne peuvent (par contrainte sociale, familiale, professionnelle, financière, culturelle, personnelle…) passer par une prise d’hormones ou des opérations ? Doit-on les laisser sur le côté de l’acquisition des droits et libertés individuelles car elles ne correspondent pas à l’idée que se fait l’administration d’une “vraie” personne transgenre ? Sur le spectre de la transidentité et dans les parcours de questionnement de chaque personne transgenre, il est rare de ne pas se remettre en question, de se demander si au final on ne serait pas simplement transgenre binaire mais que la revendication de la non-binarité serait une sorte de phase d’attente et d’acceptation avant de passer de “l’autre côté du genre”. Un sas de préparation. Cela peut être le cas pour certaines personnes et cela ne remettrait pas une seule seconde en question leur légitimité en tant que personne transgenre, en questionnement, en phase de construction identitaire. Toutefois d’autres personnes se considèrent simplement en-dehors de ces codes binaires et hétéronormatifs, souhaitent s’en éloigner en cultivant par exemple ce que l’on va appeler le “corps trans” (présenter de manière non-déterminée des attributs sexuels caractéristiques des deux corps biologiques majoritaires) ou encore la revendication d’une abstraction à cette binarité si chère à l’institution. Et bien ces identités transgenres “atypiques” vont se heurter à la transphobie du milieu médical ou administratif par exemple, où on va leur renvoyer de sérieux soupçons quant à leur genre ou leur parcours, en leur interdisant le bon déroulement des étapes par lesquelles iels ont choisi de passer au cours de leur processus individuel. Ce sont à ces profils qu’on n’accordera pas l’ALD, une somme destinée à couvrir les frais de transition des personnes transgenres, ou encore l’autorisation de changement de prénom, car leur parcours s’écartant des repères généraux concernant la transidentité n’est pas considéré comme étant valide. Apparemment la transidentité (et donc la transition) ne se fait pas “à la carte”. Mais qu’en savent-ils ? À mon sens, seule la personne concernée est en capacité de juger de la validité de sa demande, or si elle énonce cette demande, cela signifie qu’elle en exprime le besoin, et donc fondamentalement que la demande est légitime, quels que soient les “degrés” ou les “étapes” de transition que cette personne exprime ou traverse au moment de la demande. On peut être transgenre sans être hormoné.e, sans être médicalisé.e, sans être opéré.e. Si j’expliquais que ma situation a évolué depuis l’année dernière, c’est qu’alors je n’étais pas hormoné.e. Aujourd’hui c’est le cas, mais cela ne change en rien la décision des officiers d’état civil. Je suis une personne transgenre médicalisée, mais je ne correspond apparemment toujours pas aux critères requis pour que ma demande soit considérée comme légitime et que je puisse changer de prénom. Je me pose donc la question suivante : que faut-il faire pour changer de prénom en dehors d’un parcours de transition binaire aujourd’hui en France ?
Est-ce même possible ?
6. Lecture sociale et politique - hypothèses
Conséquences systémiques, transphobie institutionnelle et oppression administrative
Il s’agira dans cette partie de démontrer ce en quoi de telles décisions arbitraires en provenance de l’institution disent beaucoup sur les valeurs et les intérêts de contrôle socio-politique de la classe décisionnaire (dominante).
Tout d’abord, il m’est permis de constater du manque d’effort et de volonté des services d’état civil dans la gestion de mes demandes, étant donné le temps (sept mois) de traitement de mon dossier, les arguments fallacieux employés dans leur lettre de refus (je ne reviendrai pas là-dessus) et la déresponsabilisation totale qui constitue leur réponse à ma seconde demande. À mon sens, il s’agit d’un manque de détermination de la part du tribunal de Paris, qui a autre chose à faire que de s’occuper de ma demande et la rejette donc comme étant valable pour ne pas avoir à apprécier et expliquer un second refus illégitime. On peut alors conclure que l’administration, bien que sommée de réagir à des procédures légales et encadrées, choisit de ne pas y consacrer le temps nécessaire.
En cherchant des raisons plausibles au décisions liberticides de l’institution, il m’est apparu qu’au-delà d’un flegme d’une affligeante récurrence (première demande, premier refus, second refus motivé, bataille avec les bureaux des services d’état civil pour récupérer mon dossier, seconde demande, troisième refus, rejet de la recevabilité de la demande, apparente incompétence des services d’état civil pour me renseigner sur la démarche à suivre), des raisons plus idéologiques venaient entraver l’acquisition officielle de mon prénom. D’abord, force est de constater que fondamentalement, si une administration ne comprend pas les enjeux de ses démarches, prend autant de temps pour délivrer ses verdicts et finit par s’appuyer sur des interprétations arbitraires des textes de loi pour se dédouaner de tout effort en vue de faire avancer les dossiers des demandeur.se.s, elle ne répond pas à ses propres attentes, à ses propres fonctions. Aujourd’hui, une amende sera envoyée, majorée si non réglée, voire mutée en démarche judiciaire le cas échéant : on remarque donc une forme d’acharnement de l’institution à faire en sorte que les citoyen.ne.s respectent la loi et paient leur dû (parfois pour des motifs risibles, comme ne pas avoir de photo d’identité sur un titre de transport temporaire, ou encore fumer une cigarette sur le quai à ciel ouvert d’une gare par exemple). Paradoxalement, les dépositaires de l’autorité et des décisions civiles ne suivent même pas leurs propres lois et agissent avec nonchalance et désinvolture au sein de leur propres procédures. Cela donne tout de même l’impression qu’une hiérarchie d’importance se met en place dans le système, et que l’on cherchera plus à capitaliser les erreurs des citoyen.ne.s qu’à les accompagner avec justesse et bienveillance dans leurs démarches administratives identitaires. Je trouve que l’obtention de mon prénom (et cela vaut également pour toutes les personnes transgenres désireuses de changer de prénom) prévaut en terme d’intérêt sur le bon règlement des amendes délivrées à tel groupe de jeunes qui auraient eu l’audace de consommer de l’alcool sur des quais entre 13h et 6h du matin. Ce terme d’intérêt est crucial pour la suite de mon développement, car ce que je cherche à dénoncer ici c’est la tendance qu’ont aujourd’hui les différentes institutions de protéger leurs intérêts propres plutôt que ceux des citoyen.ne.s. De fait, si l’on reprend une lecture systémique du fonctionnement institutionnel actuel, on réalise d’abord que beaucoup de lois (ou de flous juridiques) tendent à déprécier, dévaloriser ou délégitimer les droits des personnes transgenres. À titre d’exemple, nous pourrons citer le refus parlementaire de l’extension de la PMA pour les personnes transgenres, l’interdiction de l’écriture inclusive dans les textes gouvernementaux officiels et dans les textes de l’éducation nationale, l’absence de protection contre la discrimination liée à la transidentité dans les milieux professionnels ou le report continuel d’une loi interdisant les thérapies de conversion. Ensuite, de manière plus insidieuse, il y a ces petites situations relevant du cas-par-cas qui prouvent l’indifférence de l’État face à nos identités. Là, la transphobie institutionnelle (dont nous avons déjà parlé plus haut) se fait fourbe car subtile : on ne peut différencier la malveillance du manque de rigueur, le flou juridique de lois problématiques, ce qui relève de l’anecdotique de ce qui relève du systémique. On en vient à se remettre en question, voire à porter la responsabilité de l’inefficacité de l’administration “ai-je été assez clair.e dans ma demande ?”, “suis-je réellement légitime si l’État ne reconnaît pas mon existence ?”… De cette manière, l’institution fragilise personnellement les individus pour ne pas s’attaquer frontalement à la communauté trans. L’intérêt de l’État réside dans le fait de ne pas permettre aux personnes transgenres d’être perçues comme des citoyen.ne.s à part entière. De fait, ce que les études de genre et décoloniales mettent à jour, ce sont les rapports de domination qui régissent nos sociétés : une partie de la population généralement majoritaire (souvent des hommes, souvent des personnes blanches, souvent des personnes cishétéronormées, souvent des personnes issues des classes sociales aisées - en bref, des personnes privilégiées…) va user de son influence et de son pouvoir pour renforcer cette puissance par des processus oppressifs, comme des lois, de la répression, de la censure, de la manipulation médiatique… Or il apparaît ici que nous sommes discriminé.e.s, silencié.e.s par l’État pour protéger ses propres intérêts, à savoir les privilèges de la classe dominante, car nos revendications mettent à mal ces privilèges et leur légitimité. L’institution, bien que mise en place pour répondre à des besoins sociaux, ne désire pas voir l’ordre établi changer et la société évoluer vers quelques chose de plus libre et égalitaire. La hausse du nombre de personnes transgenres, les études de genre et raciales (qualifiée par les médias politiques “d’islamogauchisme”) menacent la toute-puissance blanche et patriarcale, la méritocratie, les “valeurs républicaines” (que l’on me laisse rire lorsque ces dites valeurs sont censées être de l’ordre de la liberté et de l’égalité), et je pense que l’institution réagit à cette “menace” en tuant dans l’oeuf les procédures allant dans le sens de ces minorités et en faisant régner un climat de répression insidieuse. De même, je me suis dit que c’était parce que depuis quelques années un nombre plus important de personnes transgenres se revendiquent sur le spectre de la non-binarité et cherchent à s’éloigner des normes sociales de genre que ma demande (qui ne s’ancre pas dans ces normes-là) s’est vue refusée, sans doute parce que selon l’administration si on commence à accepter les demandes “atypiques” alors on devra accepter toutes les demandes. Mais en quoi serait-ce un problème d’aider des personnes non-binaires à obtenir plus de droits ? Je comprend qu’il ne faudrait pas que les services d’état civil soient débordés de demandes en tous genres mais c’est pour cela que les officier.e.s sont formé.e.s et mis.e.s en fonction : juger de la légitimité de ces demandes. Cela n’ouvrirait donc pas la porte à l’acceptation de toute demande relevant plus de la supposée convenance personnelle que de l’intérêt légitime.
Au-delà de cela, on remarque également ce manque de prise en compte ou de prise au sérieux des identités non-binaires. Les refus et irrecevabilités de mes demandes sont-ils significatifs de la volonté de l’institution de perpétuer les stéréotypes de genre même au sein des parcours transgenres, comme je l’expliquais plus haut ? “L’acceptation” et “l’inclusion” des personnes trans serait-elle un gage suffisant de “tolérance” aux yeux de services étatiques cisnormés ? Pire, cette tentative d’inclusion leur permettrait-elle de se dédouaner auprès de toustes du fait de ne pas réagir correctement aux demandes d’acquisition de libertés individuelles des personnes non-binaires ? Comme s’il ne fallait pas trop en demander. Ainsi, admettre l’existence de personnes transgenres mais dans le cadre du “parcours-type”, c’est à dire binaire et médicalisé (voire souvent très cliché : on acceptera la femme trans si elle agit, se montre et se comporte en tant que “vraie femme”, c’est-à-dire si elle témoigne de signes distinctifs clairs attestant de son “genre de destination”, alors que l’identité d’une personne aux caractéristiques ou expression de genre plus floues sera remise en question car elle s’opposerait aux normes sociales établies), est une porte de sortie pour paraître inclusif afin de mieux préserver ses propres intérêts (privilèges). Cela signifie-t-il que nous ne pouvons changer de prénom qu’au travers de normes systémiques (car provenant dans les faits, de procédures officielles, de lettres du procureur de la république, en un mot de l’administration) qui contribuent encore plus à entériner des réflexes et des comportements binaires et hétéronormés ?
7. Appel à une modification des législations
C’est une chose de dénoncer les manquements institutionnels et d’expliquer en profondeur la nature de la violence encourue par les personnes trans mais cela ne suffit plus à mon sens ; il serait temps à présent de dépasser le stade polémique du débat et de réfléchir à des moyens concrets d’action afin de promouvoir de réels services civils à destination de toustes. Il s’agit d’ouvrir un dialogue serein avec les autorités compétentes pour travailler ensemble à des modifications effectives des législations en cours en lien avec nos identités. J’appelle donc Mesdames et Messieurs les Ministres de la Santé, de la Justice et les responsables des administrations et services civils à prendre rapidement des décisions et une responsabilité quant aux prochains dossiers et propositions d’aménagements législatifs. Pour ce faire nous pouvons diviser notre cahier des charges en deux parties, bien qu’évidemment elles se rejoignent sur leur valeur et leur fonction.
Premièrement, à propos de la démarche du changement de prénom, il devient urgent de revoir son processus afin de la rendre plus inclusive et adaptée à nos revendications. Tout d’abord, il s’agirait de faire évaluer la légitimité de la demande par un.e officie.re d’état civil uniquement (en supposant qu’iel est formé.e à la gestion des demandes de personnes trans mais nous y reviendrons plus tard) et non de la faire reposer sur les orientations politiques et idéologies diverses des civils membres du comité décisionnel en charge de l’appréciation des demandes comme c’est pratiqué aujourd’hui, sans que cela soit prévu par les textes de loi régissant le déroulement de cette démarche. J’en viens maintenant à une demande d’un autre niveau encore, mais j’insiste grandement là-dessus : la formation des personnes travaillant dans le social ou dans le civil. Nous avons besoin d’être pris.es en charge par des professionnel.le.s qui connaissent la complexité notamment administrative qu’engendrent nos identités et sont dans une vraie démarche d’accompagnement plutôt que dans une posture de remise en question et d’inefficacité. Je parle ici au nom de toutes les personnes transgenres mais aussi particulièrement au nom de la communauté non-binaire, qui a besoin d’existence, de reconnaissance étatique. La transphobie institutionnelle peut s’avérer destructrice, surtout auprès des personnes qui sortent des cadres du “parcours-type” de la personne trans, c’est-à-dire celui de la binarité. Nous avons besoin que les textes nous permettent des protocoles adaptés, que les administrations ne soient pas d’office réfractaires à nos demandes. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans un paradoxe tel que notre identité-même nuit à l’acquisition de notre identité car nous évoluons au sein d’un système qui joue (peut-être à un petit pourcentage malgré lui) en notre défaveur. Être non-binaire c’est se confronter tous les jours à une absence de représentation et de moyens pour obtenir des document officiels justes (adaptés au réel) et parfois les outils nécessaires à une transition (ALD, pression familiale, manque supposé de légitimité de la demande…). Des dispositifs pourraient être mis en place pour pallier à ce manque de prise en compte, comme l’établissement d’une mention de genre “X” sur les documents d’identité. Cette démarche permettrait “d’officialiser” nos existences et la validité de nos conceptions de genre, de corps ainsi que de nous offrir des papiers qui correspondent à nos identités. Une autre idée qui irait dans ce sens serait de repenser la loi interdisant l’écriture inclusive dans des bulletins officiels et dans les communiqués de l’éducation nationale. De fait, quelles sont les valeurs derrière cette interdiction ? Asservir la domination du masculin sur le féminin dans la langue française ou carrément rayer l’existence littéraire de nos identités ? Dans les deux cas, cette interdiction est plus qu’invalide, elle nuit gravement à notre visibilité et va directement à l’encontre d’une potentielle progression par rapport à une quelconque reconnaissance étatique. Ainsi, les textes de loi relatifs au changement de prénom incluraient les personnes non-binaires, ce qui permettrait aux services d’état civil de mieux saisir les implications de certaines situations et d’y répondre correctement.
Enfin, il me paraissait tout de même d’usage de rappeler certains points de l’agenda politique LGBT car ce sont aussi des situations qui méritent d’être réglées avec la plus grande urgence et le plus grand sérieux. Les thérapies de conversion sont toujours légales aujourd’hui en France, et pratiquées par trois organisations privées. Il conviendrait de bannir dès aujourd’hui ces tortures complètement absurdes. La députée Laurence Vanderbrooke a pourtant beaucoup oeuvré politiquement pour ce problème mais elle ne semble par être entendue. Nos adelphes, surtout des mineur.e.s souffrent en ce moment-même, comment rester silencieux.se ? La PMA pour toustes est aussi une liberté qu’il serait intéressante d’acquérir afin de ne pas avoir l’impression de subir un eugénisme discriminatoire. Plus sérieusement, il est important que les personnes trans puissent avoir recours à des techniques d’enfantement si iels le désirent, au même titre que les couples hétérosexuels infertiles ou les femmes lesbiennes. Que les débats continuent sur la place publique, mais que la notion d’égalité soit respectée. Notamment au sein de la famille. Les personnes trans se retrouvent souvent exclues des parcours de vie normés des personnes cis, car stigmatisées. Comment voulez-vous façonner un monde dans lequel les personnes trans passent inaperçues, sans que leurs choix d’expression de genre, leur “degré” de transition et leur situation familiale leur desservent directement si les textes de loi eux-mêmes les empêchent d’acquérir ce qui est attribué à tout.e citoyen.ne, à savoir un prénom, des documents, un corps, un métier, une famille ? Faîtes en sorte que nous puissions avoir des enfants, officiellement, en tant que parent.e trans, au lieu de réserver le schéma de la famille nucléaire aux personnes cishétéronormées. Ensuite, il faudrait penser à permettre aux personnes transgenres incarcérées de pouvoir accéder aux locaux de leur genre “de destination”, c’est-à-dire de leur genre. Pour le cas de personnes non-binaire, il conviendrait également de leur demander directement ce qu’iels préfèrent. Il est de notoriété publique que les prisons sont des espaces extrêmement dangereux pour les personnes trans, et je pense en particulier aux prisons pour hommes dans lesquelles sont incarcérées certaines personnes transféminines. La situation pour ces femmes est plus que précaire : dans un environnement propice au harcèlement voire aux agressions sexuelles, aux discrimination provenant des détenus et du personnel, c’est souvent leur pronostic mental voire vital qui est en jeu. Enfin, je reviens sur l’importance de la prise en compte, de la connaissance et de la transmission de l’histoire LGBTQ+, notamment dans les programmes scolaire et les formations des métiers du social, du médical, de l’administratif…
Il est encore de nombreux points sur lesquels nous pourrions revenir quant à l’agenda politique, mais je pense avoir survolé les principales urgences. De même, voici les quelques pistes de réflexion relatives à des modifications des textes de loi pour nous permettre une existence légitime, reconnue, soutenue. À vous maintenant, postes à responsabilités et dépositaires de l’autorité publique, d’entendre ces revendications et d’aménager vos textes et nos vies.
Pour conclure, je voudrais simplement signifier à quel point ces revendications sont importantes pour la communauté. Nous sommes très nombreux.ses à avoir besoin d’aide, d’accompagnement, de l’ALD, de justice, de reconnaissance, de services et de droits fondamentaux comme l’écoute, la prise au sérieux, la sécurité, l’intégrité, le respect des choix et modes de vie… Nous demandons aux décisionnaires de répondre à nos demande, de faire évoluer petit à petit nos conditions d’existence et notre niveau de représentations. Merci.
Annexe 1 : Premier refus de mai 2020
Annexe 2 : Second refus de juillet 2021
Annexe 3 : Lien vers le BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE - Circulaire du 17 février 2017 de présentation de l’article 56, I de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle