Animale·aux, Végétale·aux, Minérale·aux
Comment Dégen(é)rer la Nature ?

perspectives écoféministes radicales
sur la subjectivité post-anthropocentrique


Ellis Laurens
2023







                  Introduction

       Si nous nous adressons directement à nos animale·aux de compagnie, c’est en raison de plusieurs facteurs qui établissent une différenciation entre ces partenaires de vie et les autres représentant·es du règne du vivant. De fait, les animale·aux qui partagent nos foyers deviennent à juste titre comme des membres de notre famille, que l’on élève, que l’on nourrit, dont on s’occupe… Nous avons pris l’habitude de leur adresser la parole, avec l’intime conviction qu’i·els étaient en mesure de nous comprendre mot pour mot. Notre relation à ces êtres est soumise à l’affection qu’on leur porte qui s’est développée tant à l’échelle de l’humanité, à l’issue de milliers d’années d’évolution et de vie commune, qu’à l’échelle de l’individualité et de l’expérience vécue par le sujet. Cette relation émotionnelle, presque familiale pour certain·e.s, définit un écart fondamental envers les autres animale·aux, qu’i·els soient à l’état sauvage, en élevage ou en captivité, bien que de l’affection puisse aussi être ressentie dans certaines de ces dernières configurations de relations interespèces. Ainsi certain·es vivant·es méritent-i·els plus notre attention, notre affection, notre communication que d’autres. Cependant pouvons-nous également avancer que ce phénomène procède en partie également de la nature anthropomorphique de notre conception des animale·aux (et encore, de certain·es d’entre ell·eux). Le fait qu’i·els disposent dans l’imaginaire collectif d’une tête garnie d’un orifice buccal et d’un système oculaire les rend (par projection) physiquement réceptifs à l’émission de nos stimulis expressifs : logiquement, i·els répondent à un appel, distinguent nos mouvements, nos émotions etc… I·El est donc commun de leur attribuer des caractéristiques humaines, propres à la conscience, à la sensibilité et à la gestion de l’information de notre espèce. De même, à l’inverse, nous estimons pouvoir comprendre leur expressivité, en calquant sur ell·eux nos propres modes de relation au monde. Ainsi, nos rapports aux animale·aux sont révélateurs d’une double énonciation paradoxale : nous humanisons les animale·aux tout en les considérant comme inférieur·es et donc susceptibles (contraint·es) de respecter notre contrôle et nos décisions. C’est ainsi que nous conférons à certain·es animale·aux plus de droits qu’à d’autres, que nous nommons certain·es et pas d’autres, que nous câlinons, nourrissons et enterrons certain·es et abattons, consommons et excrétons les autres. I·El conviendra ici de tenter de comprendre les mécanismes qui (dés)ordonnent nos rapports à l’altérité biotique afin d’y apporter des basculements paradigmatiques efficaces. Nous constaterons les écueils de l’humanisme anthropocentré, déconstruirons des présupposés essentialistes naturalisants, libèrerons l’altérité de nos prismes spécistes et explorerons de nouvelles façons d’être au monde et de concevoir les entités non-humaines.


                   I - Refuser la Domination

       I·El semblerait que le problème s’ancre dans la perception du rapport que nous entretenons avec le reste de la Nature, érigée sur une conception de l’espèce humaine comme étant supérieure à toute autre entité environnementale. Ce paradigme induit évidemment un rapport de domination qui s’exprime par les conséquences tangibles que nous connaissons tous·tes : la sixième extinction de masse de la biodiversité, l’extractivisme constant et exponentiel qui perfore la croûte terrestre, la pollution qui se change en une entité à part entière, la surpêche qui essore les océans sur nos plages, la déforestation dévorant progressivement toutes les zones vertes de la planète, les horreurs silencieuses de l’élevage industriel… De fait, nous estimons que notre conscience fait de nous des êtres spéciaux parmi les représentant·es du règne vivant. De cette particularité découlent les droits de contrôle et d’exploitation que nous estimons naturels envers d’autres espèces. I·El est dans l’ordre des choses, en nous considérant à la tête de la chaîne alimentaire, que nous élevions et exploitions les animale·aux, végétale·aux et minérale·aux qui nous entourent afin de concourir à notre propre expansion (démographique, territoriale, financière, politique). Cette cosmologie est issue tant de l’interprétation de certains textes religieux que des savoirs qui ont émergé durant la Renaissance et le Siècle des Lumières, période durant laquelle la notion d’humanisme se construit. Les humain·es se distingueraient des autres êtres de la Nature et s’octroient alors des principes de gestion oppressive des rapports avec les non-humain·es, dans l’intérêt général de notre propre espèce. Descartes nous invite en 1824, au sein de son célèbre Discours sur la Méthode(1), à devenir “comme maîtres et possesseurs de la Nature”. Bien que le nom “maître” semble plutôt suggérer une maîtrise des techniques issues de la connaissance de la nature et non une reprise de la relation maître/esclave dans une dimension environnementaliste, i·el est aisé de noter l’analogie entre le “maître” dominateur et le “possesseur” propriétaire, qui induisent alors les modes de pensée du système capitaliste et oppressif que nous connaissons aujourd’hui. De même que pour les textes bibliques issus de la Genèse(2) qui installent l’injonction selon laquelle les hommes doivent peupler la terre, soumettre la nature et dominer le reste des vivants, certain·es argumenteront que ce texte ne cherche qu’à nous inciter à développer notre savoir de la nature et à établir des rapports de respect et de réciprocité avec elle, mais i·el nous suffit de jeter un coup d’œil à l’actualité écologique pour voir comment “l’humanité” respecte “son” environnement. Au-delà de chercher une cause dans l’histoire de la littérature, qui serait d’ailleurs décriée et débattue, l’on devrait plutôt reconnaître la difficulté jusque dans les cultures modernes de considérer les animale·aux et les végétale·aux comme ayant autant de valeur que nous, et comme disposant de droits inaliénables et intrinsèques à leur existence. I·El faudrait alors établir un déplacement paradigmatique qui consisterait en une critique de l’humanisme tel que posé par les idéaux de la Renaissance. Des mouvements de pensée comme l’anti-humanisme ou le posthumanisme contestent cette différenciation essentialiste qui définit fatalement un type de destinée en fonction du type de corps que l’on habite. Le destin-poisson sera d’être péché lors de sa migration reproductive, le destin-cheval sera d’être monté en tant que destrier, le destin-mouton habillera notre espèce, le destin-volaille sera d’être empilé, déplumé, rôti et dévoré, le destin-blé sera d’être cultivé sous mille et unes formes, le destin-maïs sera de muter sous la pression des OGM, le destin-humain sera de s’alimenter de toute la terre. Ces courants intellectuels issus du marxisme, de la critique de l’individualisme, du féminisme et du post-structuralisme cherchent à dénaturaliser l’emprise que nous avons sur le vivant et les autres entités naturelles, à repenser une écologie globalisante et à nous replacer sur un rapport anti-hiérarchique horizontal plutôt que dans la logique bioméritocratique soi-disant naturelle de “la Loi du Plus Fort”.


                   II - Degrés d’Anthropomorphisme et Notions d’Individualité

       De plus, i·el s’agit maintenant de voir que plus les animale·aux diffèrent de ce que l’on connaît en terme de physiomorphologie, plus i·els nous semblent étranges, incompréhensibles et inaccessibles. Là où certaines espèces semblent constituer pour nous des anomalies biologiques, force est de constater que plus on s’éloigne des critères de ressemblance avec la forme humaine, plus on s’éloigne de la capacité à humaniser ces formes de vie, et donc à empathiser avec elles. Mais les espèces qui nous ressemblent représentent un infime échantillon de la biodiversité et i·el est quelque part assez cohérent de se familiariser avec ce qui nous ressemble. Ainsi nous n’éprouvons de l’empathie qu’envers très peu des espèces qui nous entourent. I·El s’agirait de prendre conscience de l’ensemble des formes de vie avec qui nous partageons la planète, afin de reconstruire nos rapports à l’environnement, fragilisés par l’urbanisation massive, la déforestation et les conséquences du consumérisme moderne. Ainsi, de même que chacun·e d’entre nous, chaque être vivant doit être en mesure de ne pas pâtir de son existence, à la fois en tant qu’individu·e mais également à l’échelle de l’espèce. Chaque être constitue une individualité, une vie propre, avec ses conditions d’émergence propres, son inscription dans les ramifications croissantes du grand arbre du vivant et ses moyens d’adaptation et d’évolution au sein de son environnement immédiat - jusqu’à celui de son écosystème. Chaque animal·e et végétal·e, chaque organisme doit se partager l’équilibre de la symbiose qui les unit tous·tes, dans le respect de chaque individu·e et dans la mesure du besoin. Cependant, les êtres humains ont choisi le déséquilibre, la consommation à outrance, l’asservissement total, les cultures génétiquement manipulées et l’élevage industriel. Nous façonnons le monde selon nos désirs anthropocentrés et disposons librement ou exploitons d’autres espèces, en sélectionnant leurs gènes et en contrôlant leur reproduction (qu’i·el s’agisse d’animale·aux domestiques ou d’élevage n’y change rien, par ailleurs). Nous devons sortir de ces logiques de propriété et de droit absolu sur les conditions d’existence de nos voisin·es de vie. Tout comme nous devons sortir des mécanismes de dégoût et de rejet qu’inspirent les animale·aux considéré·es comme étant des “nuisibles”, des “parasites”, des “saletés” et des “horreurs”. Cell·eux qui font peur, cell·eux qui sont laid·es, cell·eux qui semblent trop étranges pour faire partie des mêmes écosystèmes que les nôtres. I·Els ne sont nuisibles que selon nos critères et exigences dictées par nos modes de vie et de confort, et méritent autant de considération que nos animale·aux de compagnie, dans la bienveillance du partage d’un espace, d’un monde qui appartient à tous·tes. Selon Donna Haraway, il faut ainsi réenvisager notre rapport aux “espèces compagnes.”(3)

          Au-delà des animale·aux, i·el y a évidemment les espèces végétales, dans leur formes diverses déjà très éloignées de celle des humain·es. En effet, de manière objective, notre seule caractéristique commune serait le fonctionnement physiologique d’absorption et de rejet d’énergie issue de notre environnement et conditionnant notre état de vivant·es. Pourtant ces herbes, ces feuilles, ces branchages sont tout autant d’individu·es disposant d’une parcelle microscopique du vivant, et des droits inaliénables qui en découlent. I·El en est de même pour les familles complexes du grand ensemble mycologique, qui constitue une branche du vivant encore mystérieuse à bien des égards. Les microbes et les bactéries sont également des formes de vie dont on pourrait considérer l’individualité voire la subjectivité. Fonctionnant à des échelles imperceptibles et de manière si radicalement différente de nos modes d’existence, ces microorganismes vivent à nos côtés, dans nos foyers, dans notre corps, et pourtant nous nous acharnons radicalement et systématiquement contre ell·eux, sous couvert d’un hygiénisme bien-pensant qui dissimule un spécisme bien présent. Là où i·el est indéniable que notre rapport avec certaines de ces espèces (animales, végétales, bactériennes, fongiques…) a mené à de grandes pertes humaines (épidémies de peste, grippes virales, cancers…), i·el faudrait plutôt les percevoir telles des espèces s’insurgeant contre la nôtre qui tentent une rébellion face à la domination bipède, en trouvant des stratégies d’adaptation, d’invasion, de mutation qui leur permettent de nous mettre en échec (au moins dans un contexte local, au plus lors d’une pandémie).

       Par-delà même le vivant, on pourrait presque étendre cette subjectivité (inhérente à tout être) aux autres entités naturelles qui constituent notre environnement. Suivant cette logique - relevant plutôt de l’exercice de pensée, les minérale·aux et autres entités élémentaires abiotiques comme le souffle du vent, l’eau sous toutes ses formes ou encore l’énergie électrique peuvent aussi être considérées comme des individualités à reconnaître et à respecter. De fait, ces éléments font pleinement partie de nos écosystèmes et constituent ce que l’on appellera le milieu, qui se fait alors habitat naturel de multiples espèces en fonction de ses spécificités. Le paysage de la biodiversité dans telle région arctique sera forcément bien différent de celui d’une portion de forêt primaire dans la zone intertropicale. I·Els sont une grande part des directions évolutives qu’ont prises les espèces en raison des mutations qu’elles développent en accord avec leurs nécessités d’adaptation. C’est également dans les minérale·aux que les plantes et autre microorganismes vont puiser une partie de leur énergie vitale, rendant ces molécules élémentaires plus que nécessaires au développement d’une biosphère sur notre planète, occupant une place fondamentale et paradoxalement invisible dans la présupposée “chaîne alimentaire”. De même, nous autres humain·es tirons une énergie des puissances naturelles comme les courants marins ou aériens, la force du charbon, du gaz, de l’électricité, de la fission nucléaire, de plus en plus d’énergies solaires ou de dispositifs autonomes se démocratisent… Or, les éléments abiotiques et l’énergie sont à partager entre les espèces et les individu·es, de manière à ce que chacun·e puisse en profiter équitablement, et à juste mesure (c’est-à-dire encore une fois, dans la limite de ses besoins). Bruno Latour avance le terme de “géopathie”(4) pour encourager un élan de sympathie envers la Terre ou des éléments naturels “inanimés” ainsi que la prise de conscience du rapport pathologique que nous entretenons avec les écosystèmes. Ainsi ne devrait-on pas reconnaître aux entités abiotiques une valeur intrinsèque ainsi que symbiotique, et des droits, afin de garantir leur protection et le bon déroulement de leurs cycles respectifs ?


                   III - Les Droits de la Nature

       C’est dans cette considération qu’émerge à Tours, en 2019, le parlement de la Loire, porté par l’écrivain Camille de Toledo, et qui tend à reconnaître le statut de “personne”, de sujet moral, au fleuve en tant qu’entité naturelle disposant de droits. Cette initiative écologique est issue d’un engagement citoyen concerné par la préservation de la richesse de la biodiversité des bords de Loire. Des détournements juridico-philosophiques semblables ont vu le jour en Nouvelle-Zélande, en Colombie ou en Inde, entérinant une pratique de restitution des droits de respect à l’environnement, de déplacement de la subjectivité anthropocentriste et de basculement paradigmatique biopolitique. “Puisque l'on n'arrive plus aujourd'hui vraiment avec l'Etat seulement à faire face aux intérêts privés et à l'appropriation de la nature et à son exploitation, puisque l'on vit dans la crise terrestre due à cette exploitation de la nature, on se pose la question en droit : comment donne-t-on des outils pour que les écosystèmes puissent répondre ?”, s’interroge Camille de Toledo. C’est dans ces mouvances néo-écologiques à la limite du posthumanisme que s’ancre la recherche législative autour des Droits de la Nature, ce corpus de textes visant à établir des statuts juridiques et des droits inaliénables à des entités naturelles. Certes, i·el s’agit toujours d’un processus d’humanisation, ou du moins de personnification de l’altérité naturelle : on ne peut manquer d’y voir une forme sémiotique et subtile d’anthropomorphisme, inspirée de l’institution juridique-même, outil politique par excellence. Néanmoins pour une fois, cette tentative subversive cherche à étendre ses outils de protection légale à des non-humain·es, en élargissant leur spectre perceptif aux besoins silencieux d’entités naturelles composites et multiples. La transposition symbolique et légale d’un élément issu des cultures humaines à d’autres éléments naturels est un exercice qui permet de se poser des questions légitimes, tout en employant des moyens provenant du référentiel commun de l’organisation sociale : le droit. Par ailleurs, force est de constater que ces procédures juridiques ne s’adressent pas aux entités naturelles directement, mais aux entités humaines qui refusent d’en prendre soin. Il est donc cohérent d’employer des outils humains comme le droit afin de garantir que des humain·es se comportent convenablement. La conscience écologique qui émerge depuis quelques décennies se doit de se mobiliser comme elle le peut face aux crises environnementales, même si cela revient à appliquer des mesures humanocentrées à des entités qui, pourtant, n’avaient rien demandé à qui que ce soit.

       Les Droits de la Nature s’articulent autour de principes tels que :

       “Valeur intrinsèque : chaque entité de la biosphère joue un rôle dans le fonctionnement et la régénération des écosystèmes. Pour cette raison, toute composante naturelle dispose d’une valeur intrinsèque, qui doit être reconnue et respectée, indépendamment de son utilité pour l’Homme.

       Interdépendance : d’une infinie diversité, les entités du vivant participent toutes à leur niveau à la vitalité des écosystèmes qui leur fournissent en retour les éléments nécessaires à leur bien-être. Ce faisant, l’existence de chaque membre de la communauté naturelle est interdépendante de celles de l’ensemble.

       Biocentrisme : aux antipodes de l’anthropocentrisme qui fait de l’être humain le souverain des écosystèmes perçus comme sa propriété, la pensée biocentriste envisage l’ensemble des entités du Vivant en tant que composantes égales d’un même tout, la communauté de la vie. L’Homme y est appréhendé comme un membre de cet ensemble, à la vitalité duquel il doit contribuer positivement.”(5)

       La Charte de la Terre souligne ce premier principe dans son texte : “Reconnaître le lien d’interdépendance entre tous les êtres vivants ainsi que la valeur de toute forme de vie, quelle qu’en soit son utilité pour l’être humain.”(6) On peut noter le glissement de l’utilisation des textes de loi pour garantir respect et protection à des entités naturelles, qui vont dans les sens des mouvements antispécistes. Ces valeurs ont émergé dans les années 70 et se sont d’abord focalisées sur les questions de la maltraitance animale, en mettant l’accent sur leur bien-être, dénonçant les pratiques des zoos, du cirque, de l’élevage industriel et de la chasse récréative. Juridiquement, le statut des animale·aux était alors relégué à celui de “bien matériel”, qui en faisaient des objets que l’on peut posséder, instrumentaliser et exploiter. Thomas Berry, qui a théorisé en 2001 la Jurisprudence de la Terre, distingue quelques éléments de prise de conscience dont voici les principaux : “1) La subjectivité : chaque entité naturelle (un individu, une espèce, un écosystème) est sujet de droits. 2) La communauté : les entités naturelles coexistent, elles forment un tout : la Communauté de la Terre. Le tout prime sur l’individualité. 3) L’interdépendance : chaque entité a besoin des autres pour vivre. 4) La réciprocité et la relation mutuellement bénéfique : les membres doivent jouer un rôle mutuellement bénéfique au service de la communauté. 5) La loi et l’organisation : l’univers et la communauté terrestre sont régis par des modèles concrets et compréhensibles.”(7) Ainsi, ces changements de vision du rôle symbiotique et du statut animalier participent d’un retournement de la considération des autres êtres vivants. Décentrer notre regard de l’utilité que l’on pourrait avoir du reste de la Nature et savoir lui reconnaître des droits qu’i·el constitue une infraction de ne pas respecter permet de sécuriser la protection des individu·es, le développement des espèces et la régulation habituelle des cycles naturels.


Comment Dégen(é)rer la Nature ?

       Nous proposons ici des alternatives paradigmatiques qui permettraient de sortir d’un rapport de domination envers la Nature, en apportant des réponses collectives et individuelles aux formes d’oppression subies par les entités environnementales. Les “exercices” suivants cherchent à établir des points de rupture dans notre rapport actuel aux entités non-humaines, en suggérant des déplacements d’échelles et des efforts de resubjectivation vers l’altérité. De même un autre champ d’expérimentation et de recherche serait celui de la mutation linguistique, de changements grammaticaux, tant dans les expressions orales que dans les textes écrits, afin d’implanter des modifications porteuses de conceptions plus inclusives à travers un choix d’adaptation du langage. Enfin, i·el s’agit aussi de sortir du prisme culturel occidental pour s’inspirer de croyances traditionnelles qui établissent des rapports différents et souvent plus respectueux envers les entités non-humaines. Embrasser ces divergences culturelles pour remettre en question les idéaux spécistes du point de vue blanc occidental et dominateur.


                   IV - Dégénérer la Communauté Biotique au profit des Processus de Symbiose

       Tout d’abord, i·el s’agirait d’envisager la vie comme un ensemble, une communauté interconnectée constituée par un équilibre symbiotique entre les êtres et les milieux. Si l’on considère le vivant selon l’exemple de la classification phylogénétique, on observe que les familles sont départagées au niveau de leur plus proche ancêtre commun, ce qui induit des formes de différenciation excluantes dont les critères sont fondés sur les spécificités génétiques des espèces les unes par rapport aux autres. I·El faudrait ici tenter de “dégénérer” les espèces, de brouiller les différences de classification biologique pour se concentrer sur les éléments les plus lointains qui nous rassemblent : la vie, l’adaptabilité, l’évolution, la relation à l’autre. Ces constantes sont celles que partagent tous·tes les représentant·es du monde vivant et l’on pourrait s’arrêter là. Évidemment, cette dégénérescence ne constitue rien de plus qu’un exercice de projection symbolique ; c’est une tentative prospective qui ne nie pas la complexité et la diversité des espèces, mais cherche plutôt à revaloriser les ensembles d’organismes qui composent les biomes de la planète. I·El faut chercher à développer une conception holiste du vivant, voir les interconnexions qui, partout, tissent des liens entre les êtres. De fait, nous évoluons au sein de communautés biotiques, relatives à des espaces tant biotiques qu’abiotiques. Ces communautés peuvent être envisagées selon diverses échelles biospatiales : de celle de l’écosystème d’une flaque d’eau à celle d’une dune de sable, d’une forêt, d’une grotte sous-marine, d’une montagne toute entière, d’un continent ou encore de la biosphère, de l’ensemble de tous·tes. Cette collectivité cosmique conçoit le vivant comme un tout, bien que subdivisible en de multiples catégorisations. Nous pourrions parler de l’environnement à l’échelle de l’environnement. Dégénérer les espèces est une façon de repenser la collectivité interespèces grâce à un déplacement du point de vue du sujet individuel à celui des communautés biotiques. Cette conception s’ancre dans une vision globalisante de l’environnement et de la symbiose.

       De plus, le corps humain en lui-même peut être considéré comme un écosystème. Là intervient le terme d’holobionte, concept proposé par Lynn Margulis(8) et développé au sein de l’exposition Holobiont, Life is Other, proposée en 2022 par le Angewandte Interdisciplinary Lab (Vienne) et curatée par Judith Reichart, Lucie Strecker, Thomas Feuerstein et Jens Hauser. En se focalisant sur une échelle microscopique, on peut observer que de nombreux microorganismes composent notre flore intestinale, vivent dans notre épiderme, sur nos cils. Les microbes et bactéries seraient présent·es, à l’intérieur et sur la surface du corps, en plus grand nombre que les cellules, selon certaines études. Ce constat remet en question la conception même du corps et de l’individualité, en proposant le modèle d’un “pluriorganisme” composite, un réel écosystème vivant. Les sciences naturelles ont établi un champ sémantique militaire lors de la mise au jour des comportements bactériens et viraux, en parlant de “colonisation”, de “défenses immunitaires”, érigeant le corps humain comme une forteresse à protéger ou une nation qui doit s’organiser contre une invasion ennemie, ce qui a largement contribué à la perception que nous pouvions avoir de ces formes de vie jusqu’alors peu connues et uniquement considérées à travers notre point de vue, à l’échelle mésoscopique, et donc en tant que menace potentielle car responsables de maladies et autres infections bien souvent dangereuses voire létales. Les récentes études tendent à s’intéresser aux relations symbiotiques à travers lesquelles les êtres pluricorporels se sont organisés au cours de l’évolution. La symbiose, du grec “sumbioûn” signifiant “vivre ensemble”, est “l’association étroite de deux ou plusieurs organismes différents, mutuellement bénéfique, voire indispensable à leur survie. (La symbiose est fréquente entre les micro-organismes [symbiotes] et des plantes ou des animaux.)”, selon le Larousse. Ainsi, elle établit le caractère d’interdépendance qui se crée entre plusieurs organismes qui construisent une interrelation profitable pour tous les organismes, se distinguant des formes dites “parasites”, qui utilisent le corps de leur hôte pour leur propre développement. Les relations symbiotiques peuvent se décliner sous différents schémas, comme celui de la symbiose mutualiste, au sein de laquelle les êtres tirent un bénéfice les uns des autres, en créant une situation relationnelle équilibrée, ou la symbiose dite “commensaliste” qui augurera que l’un des organismes uniquement profite de cette relation, mais sans impact négatif sur le second. Des exemples de relations symbiotiques s’observent dans les rapports entretenus par exemple entre requin·es (garantissant protection) et rémoras, dont la ventouse frontale permet de s’accrocher au ventre des requin·es (nettoyant la peau du·la requin·e de parasites éventuels, de peaux mortes), ou encore entre champignon·nes (réseaux mycorhiziens) et orchidées dont les graines sont si menues qu’elles ne possèdent pas de composants chimiques à même de les ouvrir sans l’azote apporté par la transaction des hyphes fongiques. L’être humain et son microbiote peuvent également être conçus comme reliés par une relation de symbiose, l’organisme humain faisant office d’habitat naturel et de source de nutriments pour les microbes et bactéries qui, en retour, permettent le métabolisme, l’assimilation biochimique des aliments et le renforcement de notre défense immunitaire. Ceci dit, force est de constater que notre acception de tels échanges est aussi calquée sur le régime proprement humain de l’économie, fondé sur le principe d’utilité mutuelle des partis et présupposant de fait le partage de services de valeur (entendue dans un cadre biologique). Le fait que des échanges puissent s’organiser sans que l’un des organismes compris dans la relation symbiotique en tire profit se heurte à notre vision marchande des systèmes de valeur, et nous ne comprenons donc pas la situation des champignon·nes qui apportent les molécules nécessaires aux graines d’orchidées pour qu’elles éclosent et germent. “Qu’est-ce que le champignon y gagne ?”, se demandent les chercheur·euses de leur point de vue anthropocentré. I·El semblerait que nous devions faire un effort supplémentaire dans la conception des autres formes de vie afin de décentrer les préjugés qui entravent une compréhension éclairée des systèmes biotiques non-humains.


                   V - La Désubjectivation pour Revaloriser les Individualités  

       Ensuite, i·el faudrait faire l’effort, après cet élargissement de la conception du vivant, de se concentrer sur les êtres, en prenant l’habitude quotidienne de déplacer notre subjectivité pour essayer de prendre en compte les individualités non-humaines qui nous entourent. Cette proposition tend à sortir de l’anthropocentrisme qui caractérise notre rapport au monde en reconsidérant la valeur du vécu de chaque individu·es, en-dehors de leur valeur utilitaire pour l’espèce humaine. Ces exercices de reconnexion à la nature peuvent être très divers et s’adapter aux conditions des différents milieux, mais on ne pourrait manquer de suggérer par exemple de faire l’expérience de la nature régulièrement : se déplacer dans les campagnes et dans les forêts, dans les parcs, s’éloigner de la civilisation bétonnée pour réhabituer sa perception aux écosystèmes des zones rurales. Cette perspective semble basique et évidente, mais on oublie trop souvent l’odeur de l’herbe au profit de celle des gaz d’échappement, et faire l’effort conscientisé de se plonger dans un environnement naturel (même s’i·el s’agit d’une entreprise a priori artificielle) serait un premier pas vers une meilleure considération des autres espèces et formes de vie pour les citadin·es. De même, pour reprendre les questionnements d’ouverture, si l’on s’adresse à nos animale·aux de compagnie (et parfois à cell·eux d’élevage), pourquoi ne nous adresserions-nous pas également aux plantes, aux insectes et aux microbes qui nous entourent ? Cette personnification factice ne tend pas non plus à conférer des propriétés humaines telles que le langage ou l’expression à des êtres vivants qui communiquent différemment, mais à leur accorder autant d’importance dans nos relations à ell·eux qu’à d’autres membres de notre espèce. Prendre le temps de s’adresser vocalement à un·e individu·e c’est finalement læ prendre en considération. Ceci dit, i·el est aussi tout à fait possible d’entretenir une relation de communication avec d’autres êtres vivants, en travaillant un rapport prolongé avec l’individu·e, en essayant de se désubjectiver suffisamment pour tenter de comprendre les signaux pseudo-sémiotiques qu’i·el émet, en faisant attention à sa réceptivité et aux modalités de la perception non-humaine(9). Globalement, i·el s’agit de développer une perception sensible des autres êtres vivants, qui passe par la stimulation sensorielle et la conscientisation rationnelle de notre environnement. On voit, on entend, on sent, on touche l’altérité naturelle pour en faire l’expérience et faire émerger un sentiment de vécu commun interespèce. Un effort d’imagination sera nécessaire pour s’adresser à des espèces ou entités imperceptibles car microscopiques ou dissimulées, dont nous ne pouvons faire l’expérience pratique. I·El en est de même pour toutes ces espèces qui ne partagent pas nos milieux de vie. Enfin, un autre exercice subversif radical serait pour les humain·es concerné·es de s’adresser à leur viande. Bien que (souvent) inerte et fragmentée, traitée, préparée et cuisinée selon des procédés qui réifient totalement l’individualité animale, le but serait ici d’apporter de la reconnaissance à ces êtres qui nous nourrissent, qu’on a élevé toute leur vie dans des conditions souvent abominables pour qu’i·els finissent dans nos assiettes. Pour conserver un semblant de cohérence avec les appellations et les paroles prodiguées à nos animale·aux de compagnie, saluons les sacrifices imposés aux animale·aux dont le destin était l’abattoir dès la naissance, rattrapé·es par la fatalité de leur typologie corporelle au sein d’une communauté sociale carniste, spéciste, consumériste et industrielle. “Dans le contexte scientifique, le spécisme apparait comme une dérive essentialiste dans la mesure où l’appartenance à une espèce suffirait à lui conférer des droits ou à l’en priver”(10). Le destin-boeuf est de frire sur le grill d’un fast-food de mauvaise qualité.

          L’article “Viandes Insensibles” de Laurence Tuot dénonce l’iconographie publicitaire qui représente des animale·aux autophages et stupides, trop heureux·ses de se nourrir d’ell·eux-mêmes qu’i·els ne réagissent d’aucune autre manière que la béatitude d’un sourire. L’universitaire pointe du doigt la désanimalisation dont fait preuve la viande-même, tant dans ses représentations visuelles que dans nos habitudes de consommation (au sens large), éclairant “le rêve d’une animalité domestiquée au point de se cuisiner elle-même, et apparemment si délicieuse et “bête” qu’elle en vient à s’auto-dévorer”(11). Cette étude nous montre que le capitalisme industriel tente de déculpabiliser les consommateur·ices de viande animale afin d’annihiler tout élan de bonne conscience qui les conduirait à ralentir leur absorption de chair animale. Évoquer cette image cannibale sous des traits humoristiques et sympathiques, presque pour plaire aux enfant·es, contribue à normaliser cette désanimalisation de l’animal·e et à servir les appétits économiques du système capitaliste. Laurence Tuot critique également l’initiative TCC2 (Tissus Cellulaire Comestibles) de Stéphane Bureau qui cherche à cultiver des cellules musculaires en laboratoire, pour séparer complètement l’animal·e vivant·e d’une chair inerte. Cette idée peut paraître recevable pour ne pas conduire de bovin·es et autres porcidé·es à l’abattoir, mais elle se base sur un assujettissement et une désubjectivation totale de l’être vivant. Cela conduirait à asseoir encore davantage notre domination sur les autres espèces, en les réifiant, en les faisant sortir du cycle naturel du vivant pour en extraire uniquement ce qui est jugé utile à l’humain·e (selon les critères du capitalisme néo-libéral). “Que l’animal se suicide joyeusement ou qu’il soit tout simplement évacué du processus industriel, dans les deux cas l’animal se supprime en tant qu’animal, c’est-à-dire en tant qu’être animé et souffrant, pour ne devenir qu’une matière stupide et consommable”(12). Pour faire suite à cette proposition de s’adresser à la viande que l’on s’apprête à manger, rappelons-nous du travail de Jeffrey Vallance autour de l’industrialisation de la viande de poulet aux États-Unis. Blinky the Friendly Hen est un projet de performance en plusieurs volets, qui a d’abord consisté en l’achat d’un poulet congelé en supermarché, et en l’inhumation de ce dernier dans un cimetière pour animale·aux de compagnie de Los Angeles en 1983, avant de l’exhumer pour en pratiquer l’autopsie. Jeffrey Vallance a tenu à faire de ce poulet sanctifié et extrait de la chaîne consommation une icône sacrificielle de la volaille industrielle, comme la représentation “comestible” d’un Jésus-Christ postmoderne. La figure symbolique de Blinky a marqué les Américain·es : cette alternative de campagne artistique absurde répondait au manque d’empathie que nous éprouvons à l’égard de notre nourriture.


                   VI - Dégenrer le Langage et les Représentations de la Nature

       Une nouvelle éventualité serait de tenter par détournement linguistique de ne plus genrer les entités naturelles, dans la démarche de déconstruire l’idée selon laquelle le sexe biologique est lié à un genre. Comme établi par de nombreux·ses théoricien·nes féministes tel·les Simone de Beauvoir (“On ne naît pas femme, on le devient”(13)), Monique Wittig (“La femme n'a de sens que dans les systèmes de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels”(14)), ou encore Judith Butler et son concept de performativité du genre(15), le genre est une construction sociale, qui s’avère oppressive et répondre à l’agenda hétéropatriarcal du capitalisme néo-libéral. Le modèle de la famille nucléaire est une invention de contrôle biopolitique des comportements, de la reproduction et des systèmes de valeurs humain·es. Là où les mouvements conservateurs argumenteront en faveur d’une “hétérosexualité naturelle” car nécessaire à la reproduction de l’espèce, la biologie oppose une conception de la reproduction et des mœurs non-humaines très variée et éloignée des modes de sexualité humains. De fait, les autres êtres vivants ont développé des manières diverses de relationner et de se comporter en couple, en parent·es, en famille, en groupe. On sait que la division asexuée existe chez bien des espèces comme des vers ou des limaces de mer ainsi que de nombreuses bactéries et microorganismes. On connaît la gynogénèse chez des espèces dont la population est exclusivement composée de femelles, procédé par lequel un spermatozoïde d’une autre espèce déclenchera la fécondation mais sans partage d’information génétique, conduisant à un embryon disposant du même matériel génétique que la génitrice. Dans ces cas de figure, on parle de clonage naturel. Certain·es animale·aux libèrent leur gamètes dans les courants, certain·es champignon·nes dispersent leurs spores au gré du vent, certaines plantes confient le soin de leur pollinisation à d’autres espèces comme des insectes au sein d’une relation de symbiose mutualiste. L’évolution a pris énormément de chemins différents pour assurer la transmission du p·matrimoine génétique de l’espèce et de son développement. Le vivant se déploie par la rencontre, par l’accouplement, par la symbiose, par la voie charnelle, la voie divisionnaire, la voie élémentaire. Certaines espèces engendrent seules, d’autres ont besoin d’une rencontre de gamètes dits mâles et femelles ; certaines sont hermaphrodites comme le révèlent les plans serrés et érotisants du superbe Télédésir de Cindy Coutant (gastéropodes)(16). D’autres changent de genre durant leur existence, à une ou plusieurs reprises, comme certaines espèces de poisson·nes - cela peut être dû à l’absence d’individu mâle dans le groupe, afin d’assurer la fertilité au sein de l’espèce. D’autres encore possèdent des centaines de configurations sexuelles (physarum polycephalum). De même, les rapports de parentalité et de filiation varient énormément de groupes d’animale·aux aux autres. I·El est intéressant de noter que certaines femelles s’occupent uniquement de pondre, alors que d’autres se chargent d’élever les petits (mammifères), ou encore partagent ce rôle avec les mâles (hippocampes). Les comportements “homosexuels” ou les pratiques qui s’apparentent à la recherche d’une forme de plaisir sexuel existent aussi chez les animale·aux, comme on peut l’observer particulièrement chez certain·es primates ou oiselle·aux. “Lorsqu’on compare différentes espèces, les individus des deux sexes peuvent donc avoir des comportements fort variables, démontrant l’échec d’attribuer des caractéristiques universelles de comportement liées au sexe”(17). Ainsi, imposer aux animale·aux une catégorisation anthropocentrée des modes de relation et de reproduction semble réducteur, voire carrément incorrect. Or, cette catégorisation prend toute son ampleur : elle est employée dans l’outil linguistique pour distinguer le masculin et le féminin chez ces autres êtres. Donner des appellations genrées à des entités qui n’expérimentent pas le genre, la reproduction ou le modèle familial de la même manière que nous paraît relever d’une erreur. C’est en s’opposant à cette transposition de notre régime de différenciation sexuelle binaire et imposée (sur le monde) par le système hétéropatriarcal que nous proposons les vocables “animale·aux”, “végétale·aux” et “minérale·aux”, comme une tentative de dégenrer les individualités naturelles. En effet, redonner leur neutralité de genre aux êtres qui ne traversent pas nos perceptions construites du genre semble constituer une première solution sémantique à cette erreur taxonomique. Dégenrer grammaticalement ces groupes d’entités, grâce à des détournements syntaxiques, permettrait de déconstruire nos projections humaines dans une démarche cherchant à ne plus opprimer d’autres espèces sous quelque injonction binaire ou prisme anthropocentré que ce soit.

       Dans une démarche semblable, nous proposons de réfléchir à la conception cosmogonique de la Nature en tant que la personnification d’une figure maternelle. Bien que cette image, largement partagée parmi différentes cultures autour du monde (Gaïa, Dame Nature, Pacha Mama, les idoles de la fertilité…), détient une aura mythologique presque réconfortante, comme celle d’une divinité omniprésente et bienveillante, elle véhicule des idéaux profondément sexistes sur la maternité naturelle et le rôle social des femmes. De fait, ce fantasme de la Nature nourricière d’où émerge la vie est complètement parallèle à la conception paradigmatique de la femme en tant que mère et foyer, en tant que corps destiné aux bras du mari et à l’enfantement. Paul Preciado parle des utérus comme “d’espaces vitaux” territorialisables, à conquérir et à exploiter, adoptant ainsi des modes de contrôle de la reproduction. “Dans le régime patriarcal, le corps masculin doit fonctionner comme un instrument militaire de l’État dédié à l’occupation, l’expansion, l’insémination et la colonisation des espaces de vie, tandis que le corps féminin est représenté comme un territoire à annexer, une colonie à occuper”(18). Le second écueil de cette vision est lié à la manière dont la figure de la femme est calquée sur le modèle d’une naturalité essentielle et propre à sa condition féminine. L’essentialisme est un courant féministe qui tend à promouvoir ce fantasme du divin féminin, intrinsèque à la nature de femme, et fondé bien entendu sur tous les présupposés de rôles liés aux stéréotypes de genre. Ainsi, par sa connexion à la Lune en raison des cycles menstruels, par sa fonction de mère et de nourricière analogue à la conception de la Nature, la femme aurait une essence spécifique qui ne soit pas issue des processus de socialisation mais bien inhérente à son corps, à sa composition matérielle. Cette conception de la féminité nie toute légitimité au changement, à la mutation tant biologique que symbolique. De fait, si notre essence est liée à la fatalité de nos corps, et donc à la “réalité biologique” de la différenciation sexuelle, alors la transition de genre est incohérente voire inefficace. Cela revient à penser que le genre est indissociable du corps, induisant une illégitimité dans la perception des parcours et des expériences des personnes transgenres. Considérer le genre comme une construction et un outil de contrôle biopolitique permet au contraire de trouver des moyens concrets de déconstruction de ces normes afin de les décharger du potentiel oppressif et dominateur de la binarité. Les vécus trans s’opposent factuellement à la conception essentialiste de certaines féministes, et remettent en cause la notion de “naturel féminin”. De plus, la rationalité biologique veut que les êtres soient sujets à des mutations à travers l’évolution. Ainsi peut-on lire dans le Manifeste du Muséum Humains et autres animaux : “Il n'y a pas d'assemblages de caractères essentiels et encore moins figés. L'histoire naturelle moderne n'est donc pas essentialiste […]. Les êtres ne portent pas d'essence éternelle, puisqu'avec le temps ils évoluent. Avec l'évolution biologique en arrière-plan, il n'existe dans la nature que des individus changeants, que nous regroupons en ensembles, ou groupes taxonomiques, sur lesquels nous posons des noms par commodité. Ces groupes sont des concepts qui rendent compte de notre compréhension du réel.”(19) Ainsi, toujours dans une logique d’extraire la binarité de genre anthropocentrée de notre vision de la nature faudrait-i·el dépersonnifier et dégenrer les entités naturelles, tant élémentaires que vivantes, tant à l’échelle de l’individu·e qu’à l’échelle de l’écosystème ou de la biosphère.


                   VII - Hybridités Identitaires Interespèces

       Cependant, un autre exercice de subversion de genre en faveur d’un rapport plus symbiotique envers la nature s’articule autour des identités xénogenres. Bien que de nombreuses civilisations conçoivent depuis des siècles le genre en-dehors d’un spectre binaire, nous le considérons aujourd’hui comme une notion fluide, un spectre des possibles au sein duquel s’exprime une multitude d’identités. C’est ainsi que certaines personnes délaissent les catégories de genre binaires pour s’identifier à des nuages, des végétal·eaux, l’océan ou autres entités biotiques ou non. Ce sont les xénogenres. Ces identités de genre protéiformes nous mènent à penser différemment notre rapport à l’environnement en faisant corps avec lui, en opérant un travail de perception, d’attention renouvelée aux éléments qui nous entourent. Le genre permet aux posthumain·es de redéfinir leur place au sein d’une communauté écosystémique. Le prisme du naturel revient à la charge dans les conceptions des xénogenres, toutefois il n’y apparaît plus comme un facteur essentialiste (cherchant à rassembler les individu·es par des caractéristiques communes, ce qui a tendance à invisibiliser les expériences individuelles et les spécificités intersectionnelles) mais plutôt comme une subversion consciente et potentialisée du genre. Ce n’est plus le biologique qui définit le genre d’une personne, mais son auto(in)détermination qui se fait performative. “Ce terme cherche à échapper à l’éventail encore très limité des identifications proposées par la société et permet à chaque personne de se définir par association unique, sans passer par une projection matérielle et sexuée”, dira Alice Pfeiffer dans un entretien à propos des xénogenres. On remarque l’apparition de communautés issues de cultures numériques et de courants de pensée bien spécifiques qui se revendiquent être des hybrides transespèces évoluant en-dehors des normes de genre. I·Els se reconnectent à la nature en refusant les stéréotypes essentialisants censés orienter leur comportement au sein d’un groupe social. Les xénogenres organisent des événements dans des cadres naturels, afin de raffermir leur conscience de l’écosystème et de célébrer la biodiversité. I·Els prendront alors l’apparence d’elfes, de sorcières, de faunes, de fées et autres figures mythiques issues de grands récits médiévaux revues à l’aune d’un contexte populaire contemporain (voir Narthex par exemple). Ces esprits de la forêt entretiennent souvent un rapport très identitaire et profond à la nature, comme une source d’énergie, un habitat, un trésor à protéger, et s’ancrent dans la reprise des cultures animistes, chamaniques et totémiques, qui accordent une autre place à la nature sauvage que l’hemme moderne. Entre alors la notion d’hybridité, de croisement entre les genres et les espèces, entre biotique et abiotique, entre êtres de chair et de pensée, estompant les frontières entre humain·e et non-humain·e. Les Two-Spirits (ou bispiritualités), issu·es des communautés natives d’Amérique, sont des êtres spéciaux, ni hommes ni femmes, capables d’entrer en communication avec des entités naturelles et le monde des esprits. I·Els sont vénéré·es et respecté·es en tant que garant·es d’un équilibre entre les humain·es et les autres membres de la communauté écosystémique et spirituelle, ainsi que dans la transmission des traditions ancestrales. À cet égard nous pouvons citer la performance de Caroline Dejoie, Tuto makeup pour devenir une chimère misandre, réalisée lors d’une initiative organisée par le Laboratoire Corps, Genres, Arts au Sample en janvier 2023. L’artiste se réapproprie les codes de l’industrie cosmétique à travers un rituel performatif, tandis qu’une voix au discours politico-lyrique se diffuse dans l’espace. On suit alors l’emploi spécifique de plusieurs artefacts de beauté, aux bienfaits reconnus depuis des siècles : l’huile, l’argile, le miel… Elle s’en recouvre progressivement le corps, évoquant alors la mutation qu’elle performe et expérimente. De fait, l’artiste se place dans une esthétique de la sorcellerie revendiquée en tant que nouveau rapport avec la nature. Ainsi, à travers son sortilège de transfert interespèce, de déconstruction du genre et de mutation métamorphique, elle se fluidifie, se rend liquide, elle s’enterre pour finalement se parer de plumes afin de “convoquer les autres”, rejoindre les animale·aux et les esprits qui nous entourent. Son travail permet de réaliser un changement de perspective dans la conception des passages et des liens entre différentes espèces, avec un propos féministe et critique du genre, tout en s’ancrant dans la réalité actuelle du contrôle de la féminité par l’industrie cosmétique.


                   VIII - Conception Holiste Traditionnelle et Réincarnation Biologique

       Nous pourrions nous inspirer des enseignements de ces croyances traditionnelles sur certains points en rapport avec la perception de la nature. Tout d’abord une forme de cohésion interespèce est notoire dans la plupart de ces cultures. De fait, la nature est conçue comme un tout global dont chaque élément participe à l’équilibre général. Les formes de vie s’organisent et s’expérimentent en symbiose les unes avec les autres, et les humain·es doivent apprendre à ne pas empiéter sur les espaces et les modes de vie de l’altérité. Les animale·aux et végétale·aux sont respecté·es en tant qu’entités disposant d’une valeur intrinsèque. Compte-tenu de leur rôle à jouer dans notre sédentarisation, dans nos coutumes, dans nos tenues et dans notre alimentation, i·el est admis que quelques non-humain·es soient élevé·es ou abattu·es, mais toujours dans les limites cadrées d’un besoin vital, et dans une logique de reconnaissance et de gratitude envers cette nature si généreuse. Chaque vie est considérée en soi et pour soi, une notion qui semble être une évidence pour ces populations. Par ailleurs, les traditions animistes accordent aux éléments naturels une essence divine et personnalisée. Les esprits de la nature sont omniprésents et doivent être respectés, sous peine de se confronter à leurs imprévisibles menaces. Cette notion qui ne tend plus à déconstruire les présupposés anthropocentrés érige cependant les animale·aux, végétale·aux et autres âmes minérales en de fondamentales et ancestrales puissances contre qui l’humain·e a peu de chance. Ce basculement du rapport hiérarchique envers les autres êtres de la nature, manquant dans les sociétés occidentales, est un outil intéressant pour tenter de combattre notre surexploitation des ressources naturelles. Donner plus de respect et d’attention aux divinités naturelles qu’aux autres membres de notre propre espèce, dans un effort de conscientisation de notre petitesse et infériorité permet de s’assurer de protéger les non-humain·es et les cycles de développement des écosystèmes.

       Enfin, i·el convient de soulever ici une nouvelle notion, commune dans les courants religieux comme l’hindouisme ou le bouddhisme : le mythe de la réincarnation. Cette idée présuppose une forme d’éternité de l’âme sur le corps fait de chair périssable et mortelle. Lorsque le décès du corps advient, alors l’âme du·la défunt·e s’en échappe et se met en quête d’un nouveau corps à habiter, une nouvelle enveloppe charnelle sur le point de naître au même instant. L’un des textes essentiels de l’hindouisme stipule : “Car certaine la mort pour celui qui est né, et certaine la naissance pour qui est mort”(20). Juste avant la (re)naissance, l’âme (ātman) perdrait les souvenirs de sa vie précédente pour entamer une nouvelle existence dans l’innocence la plus totale. Cette perception de l’Avant et l’Après la vie humaine induit déjà une séparation entre le corps et l’identité, mais surtout elle perçoit l’existence de l’âme sur le temps long, en transit entre les corps de différentes espèces. Les courants bouddhistes opposent à l’ātman hindouiste la notion contraire du non-soi, qui considère que l’âme immortelle n’existe pas et que les transmigrations sont expérimentées par les amas de cinq facteurs psychosomatiques constitutifs de l’identité : la forme corporelle, la sensation, la perception, la formation mentale et la prise de conscience active. Les périodes de présence terrestre se succèdent, se multiplient et l’âme immortelle hindouiste voyage d’une charogne à l’autre tandis que les “agrégats” psychophysiques bouddhistes se réinscrivent dans une continuité de l’existence sous forme de cycles de renaissances (samsâra). Cela fait de l’expérience de l’être un être-pluriel, un être-changeant, en constante mutation, passant de brin de lavande à lézard des sables, de la couturière d’un village de campagne à la plus étrange des méduses. Si toutefois ces croyances se heurtent au modèle critique de la rationalité scientifique, un lien peut se faire avec une conception biologique de la réincarnation. De fait, dans la nature, un·e animal·e mort·e se décompose en grande partie grâce à l’action d’autres êtres vivants : mammifères, oiselle·aux, insectes, champignon·nes et microorganismes. Ces formes de vie se nourrissent et tirent leur énergie, et pour certaines leur habitat (provisoire), des cadavres d’animale·aux. Ce schéma se répète à différentes échelles, et perpétue l’idée selon laquelle un transfert énergétique s’opère dans le rapport interespèce entre chair animée et matière morte. Ce passage du décès à la naissance et l’émergence d’un échange symbiotique peuvent être considéré·es comme une forme de réincarnation biologique. Par la suite, la carcasse décomposée transmigre en son terreau d’inhumation pour rejoindre la couche de végétale·aux en décomposition qui forme l’humus. Elle est rendue à la terre sous forme de nutriments qui lui assurent fertilité. Ainsi, l’être mort devient source de vie, et des champignon·nes viendront se développer en son sein. Leurs réseaux mycorhiziens se connectant aux racines des végétale·aux, i·els deviennent un lien vital pour les espèces environnantes, de véritables stations de redistribution bioénergétique. Cette symbiose traversant le voile de la mort s’observe de manière significative avec le phénomène des “whalefalls” (littéralement : “chutes de baleine”). Il décrit l’oasis de vie qui se déploie autour du cadavre d’une baleine (ou autre grand·e animal·e marin·e) lors de sa chute dans les profondeurs. Le corps inanimé se dépose sur le sol de sable et attire charognard·es et leurs prédateur·ices. Les cycles de vie se succèdent alors, réunissant de multiples espèces qui se nourrissent du corps de la baleine. Des poisson·nes et requin·es d’abord, puis des crustacé·es et autres invertébré·es. Les algues et champignon·nes s’installent, tandis que les bactéries trouvent refuge et nutriments dans les os-mêmes de l’animal·e. Bientôt des corau·lx se forment sur le squelette, abritant (et attirant) de nouvelles espèces. Un écosystème tout entier qui surgit de nulle part sur le sol abyssal. Certaines études estiment que de telles poches de vie peuvent perdurer pendant plus d’une cinquantaine d’années, assurant vie, protection et interactions sociales à des générations d’espèces grâce à la symbiose mutualiste émergeant de la décomposition d’un corps sur le sable. Ce renouveau participe d’un cycle naturel qui rend à la nature ce qu’elle nous a donné, dit-on. Ainsi, que cette transition vers la mort puisse paradoxalement augurer un tel regain de vie constitue également un principe de ré-incarnation biologiquement cohérente. Le transfert ne se fait pas d’un corps à un autre, ou d’une âme à une nouvelle enveloppe charnelle, mais il s’opère par partage de nutriments entre des centaines d’individu·es. Un corps fournit, après des processus de décomposition et de transformations biochimiques, l’énergie vitale qui alimentera un écosystème entier. “Pulvis es et in pulverem reverteris”(21) se voit ici réactualisée à l’aune de ces considérations, et nous rassure quant à notre condition mortelle qui n’est vouée qu’à devenir autre.


       Ainsi, ces divers exercices de basculement de point de vue nous permettent de concevoir la nature comme un tout global, un ensemble des relations symbiotiques ou encore des individu·es tous·tes dépositaires d’une subjectivité et d’une valeur intrinsèque. Les classifications scientifiques qui séparent les espèces entre elles déterminent notre supériorité, en expérimentant la nature à travers un prisme anthropocentré. Les humain·es soumettent les autres animale·aux, cultivent les végétale·aux et extraient les minérale·aux dans la poursuite de leurs propres intérêts. Cette main-mise sur le reste de la nature est au fondement d’un déséquilibre écologique sans précédent, et nous sommes à présent responsables de rétablir l’égalité entre ces rapports. Dégénérer la Nature pour effacer nos différences (matérialisées par nos divergences génétiques) et se considérer comme faisant partie d’une communauté vivante intersubjective qui dépasse l’identité personnelle. Dégenrer la Nature par l’initative de détourner nos expressions langagières afin de ne pas appliquer de prisme de genre spécifiquement humain sur notre conception des animale·aux. Faire un effort de désubjectivation pour inverser les rapports de domination et retrouver une conduite légitime au sein du monde qui nous entoure, dont nous faisons partie et que, finalement, nous sommes.  


* * *


1 - Descartes, René. 1824. Le Discours sur la Méthode.

2 - La Genèse (Gn 1, 26-28) : “Créons l’homme à notre image, à notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre. Dieu créa l’homme et la femme à son image, les bénit et leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la terre, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre.”

4 - Latour, Bruno. 2022. Le Précis de Géographie. La chaire Laudato si’. Pour une nouvelle exploration de la terre, initiative de recherche-action-pédagogique du Collège des Bernadins.

5 - Droits de la nature, consulté en janvier 2023 à l’adresse : https://droitsdelanature.com/lessentiel-des-droits-de-la-nature

6 - Principe I.1.a de la Charte de la Terre, consulté en janvier 2023 à l’adresse : https://droitsdelanature.com/les-textes-des-droits-de-la-nature

7 - Site des Droits de la Nature, consulté en janvier 23 : https://droitsdelanature.com/la-jurisprudence-de-la-terre

8 - Margulis, Lynn. 1991. Symbiosis as a Source of Evolutionary Innovation.

9 - À ce titre, de nombreux ouvrages et films, tant fictionnels que documentaires, se concentrent sur la relation qu’entretiennent des êtres humains et des animale·aux. Voir entre autres Le Renard et l’enfant (Luc Jacquet, 2007), La Sagesse de la Pieuvre (Pippa Ehrlich, James Reed, 2020), Autobiographie d’un poulpe (Vinciane Despret, 2021)...

10 - David, Bruno (sous la direction). 2016. Humains et Autres Animaux, Manifestes du Muséum. Reliefs. p92.

11 - Tuot, Laurence. 2014. “Viandes Insensibles”. Figures de l’art n°27, Animal / Humain : Passages, p69-79.

12 - Ibid, p73-74.

13 - Beauvoir (de), Simone. 1949. Le Deuxième Sexe. Gallimard.

14 - Wittig, Monique. 1992. The Straight Mind and Other Essays. Beacon Press.

15 - Butler, Judith. 2005. Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité (Routledge Kegan & Paul, traduit par Cynthia Kraus). La Découverte.

16 - Coutant, Cindy. 2018. Télédésir. Le Fresnoy.

17 - David, Bruno (sous la direction). 2022. Aux origines du genre, Manifestes du Muséum. Reliefs. p30.

18 - Preciado, Paul. 2022. “Espaces de vie / Usine, Corps, Somathèque” dans Dysphoria Mundi. Grasset. p412.

19 - David, Bruno (sous la direction). 2016. Humains et Autres Animaux, Manifestes du Muséum. Relief. p89.

20 - Bhagavad-Gîtâ, II, 27

21- La Genèse (Gn 3,19) : “Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris” (« Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière »)










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